Cannabis clubs « à la belge » : l’alternative entre prohibition et libéralisation ?

Le modèle des cannabis clubs en Belgique ont des faiblesses, mais aussi des avantages. C’est ce que détaille une étude de l’université de Gand, menée par le criminologue Tom Decorte. Son analyse publiée dans l’International Journal of Drug Policy révèle qu’il existe des alternatives entre prohibition et libéralisation du cannabis.

Le modèle des cannabis clubs en Belgique ont des faiblesses, mais aussi des avantages. C’est ce que détaille une étude de l’université de Gand [1] menée par le criminologue Tom Decorte. Son analyse publiée dans l’International Journal of Drug Policy révèle qu’il existe des alternatives entre prohibition et libéralisation du cannabis.

« Les cannabis clubs pourraient fournir une option sûre et viable pour les décideurs qui envisagent l’option d’un marché réglementé pour le cannabis, mais qui ne souhaitent pas pour autant franchir la disponibilité commerciale complète. »

Voilà en substance une conclusion de l’étude de Tom Decorte, criminologue à  l’université de Gand, sur les forces et faiblesses du modèle de cannabis clubs « à la belge ». Cette position, le chercheur l’étaye à partir de divers arguments : certains décideurs pourraient  entrevoir les cannabis clubs comme une opportunité, compte-tenu qu’ils permettent une concentration, et donc un meilleur contrôle de la production à des fins de consommation personnelle. Dans ce cadre, les autorités locales auraient même une carte à jouer : accompagner et/ou encadrer l’implantation et le développement de cannabis clubs, veiller à ce qu’ils ne se transforment pas en mégastructures commerciales (comme c’est le cas en Espagne), faire appliquer des normes de qualité de production et des taux de concentration en THC ; un enjeu pour la santé publique.

Flou juridique

Dans son étude, Tom Decorte recense cinq cannabis clubs en Belgique. Tout comme en Espagne, ils se sont implantés chez nous en profitant d’une récente tolérance dans la législation, selon laquelle -dans le cas belge- la détention de cannabis (3 grammes maximum) et/ou la possession d’un plant par une personne majeure doit constituer le degré le plus bas de la politique des poursuites.

Cette mesure à cheval entre la répression et la dépénalisation permet -dans une certaine mesure- aux cannabis clubs d’évoluer juridiquement dans une zone grise. Toutefois, ce flou juridique est loin d’assurer leur subsistance : certains clubs ont été dissous à cause d’actions en justice et d’autres ont cessé leurs activités suites à des menaces juridiques.

Un cannabis club, c’est quoi ?

L’étude définit les cannabis clubs comme des organisations privées et légales d’usagers qui produisent collectivement du cannabis pour leurs membres (des personnes majeures), pour une consommation privée et limitée, leur évitant ainsi de se tourner vers le marché noir. Toutefois, les modèles de cannabis clubs diffèrent d’un pays à l’autre. D’après Tom Decorte, les cannabis clubs « à la belge » ne sont pas (encore) motivés par le profit, et fonctionnent comme un système dans lequel le cannabis n’est pas facilement disponible.

Des avantages et des inconvénients

Tom Decorte s’est donné pour principal objectif d’analyser les points forts et les faiblesses du modèle des cannabis clubs en Belgique. Pour ce faire, le chercheur s’est appuyé sur une revue de la littérature internationale, des données qualitatives ayant trait aux cannabis clubs en Belgique, mais aussi des visites de terrain et des entretiens menés avec les organisateurs de ces clubs en Belgique. Dans son étude, le chercheur analyse notamment les critères d’adhésion des membres aux cannabis clubs analysés, les protocoles de production, etc., pour ensuite cerner le profil des membres de ces clubs, leurs règles, les modalités de distribution du cannabis, les relations entre les cannabis clubs et les autorités locales, etc.

Parmi les points forts du modèle belge, le chercheur indique que les cannabis clubs assurent un contrôle direct sur la qualité et la puissance (taux de THC notamment) du cannabis qu’ils distribuent, voire court-circuitent les circuits criminels. De plus, ils offrent bien souvent des avantages économiques (un prix moins élevé que sur le marché noir) et ils permettent un suivi des modes et/ou habitudes de consommation des usagers, compte-tenu que les clubs limitent le nombre de plants et de grammes par usager. Voire pourraient jouer un rôle dans la détection des usages (et/ou usagers) problématiques de cannabis, selon les défenseurs de ces clubs. En outre, Tom Decorte détaille qu’à la réception de leur cannabis, les membres des clubs reçoivent un dépliant avec une description de la variété du produit (composition génétique, effets physiques spécifiques et mentaux, etc.) – le cas échéant – une note moyenne donnée par les membres qui l’ont testé. Les membres reçoivent également une brochure rappelant les règles du club et les instructions pour une utilisation contrôlée. Le dépliant renseigne également les adresses d’un médecin généraliste et d’une centre de prévention, au cas où des membres éprouveraient des problèmes de santé (ou autres) liés à la consommation de cannabis.

Mais dans un contexte où le statut juridique de ces clubs n’est pas clair, les plus petits d’entre eux ne proposent pas cette documentation.

Tom Decorte met également en évidence différentes menaces qui pèsent sur les cannabis clubs. Parmi elles, les tentatives de détourner ce modèle à des fins criminelles, l’émergence de clubs à but lucratif (cf. Espagne), et une forme de violence qui pourrait émaner des entrepreneurs du marché noir, en raison de la concurrence que les cannabis clubs représentent. D’après Tom Decorte, les faiblesses du modèle belge sont principalement liées à la nature « instable » voire « transitoire » de ces clubs,  au manque de transparence de leurs opérations, à la légèreté de certaines stratégies de contrôle « qualité », au risque qu’ils se transforment en entreprises, etc.

Alternative ou étape nécessaire ?

Toutefois, le chercheur indique qu’il s’agirait de s’appuyer sur les « défauts » des cannabis clubs pour transformer ces derniers en opportunités.

Autrement dit, la mise en place d’un cadre légal plus clair pour les cannabis clubs leur permettrait peut-être de se défaire de leurs faiblesses actuelles… Cannabis clubs, l’alternative entre prohibition et libéralisation, et/ou étape nécessaire à la mise en place d’un marché réglementé pour le cannabis ? Car rappellons-le, Tom Decorte est l’un des signataires du récent plaidoyer « Canabis: bis ».

Pourquoi des alternatives à la prohibition ?

Malgré la prohibition du cannabis, la consommation de cannabis reste élevée en Belgique. Selon l’enquête HIS 2008, 14% des belges de 15-64 ans en ont déjà consommé au moins une fois dans leur vie. En outre, d’après les données recueillies par les forces de l’ordre, le WIV-ISP et Eurotox, le nombre et les quantités de cannabis saisis sur le territoire belge ne fléchissent pas, le prix de vente est relativement stable si on tient compte de l’inflation, et la pureté (en THC) de l’herbe et de la résine de cannabis augmente globalement dans le temps.[2]

D’autre part, le constat d’échec de la prohibition des drogues est partagé par une frange d’ex-chefs d’État et d’éminents chercheurs au niveau mondial. Ce constat suggère que l’offre n’est pas vraiment impactée par le système répressif, ce qui remet en question l’efficacité de l’approche prohibitionniste[3], selon laquelle elle devrait, si elle était efficace, entraîner une diminution de la disponibilité des produits et de leur pureté, ainsi qu’une augmentation de leur prix. Le constat d’échec de la prohibition du cannabis est également étayé par le fait que les pays les plus répressifs en la matière n’observent pas forcément les niveaux de consommation les plus bas, et inversement.[4] La prohibition du cannabis entraîne en outre une série de conséquences indésirables sur le plan sanitaire et social[5], entrave le développement de l’usage thérapeutique d’un produit (dont l’intérêt en la matière est reconnu par de nombreuses études scientifiques), et grève lourdement les finances publiques, alors que le secteur de la prévention est fortement sous-financé. Développer des alternatives à la prohibition devient nécessaire.

[1] Decorte, T., Cannabis social clubs in Belgium: Organizational strengths and weaknesses, and threats to the model. International Journal of Drug Policy (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.drugpo.2014.07.016

[2] Eurotox, L’usage de drogues en Fédération Wallonie-Bruxelles, rapport 2013-2014, Bruxelles, 2014

[3] Voir Werb et al., 2013

[4] Voir les bulletins statistiques « Global Population Survey » GPS-1 à GPS-21 sur le site Internet de l’EMCDDA.

[5] T. Decorte, P. De Grauwe, J. Tytgat, Cannabis : bis ? Plaidoyer pour une évaluation critique de la politique belge en matière de cannabis, 18/11/2013



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