CANNABIS – Des chercheurs belges favorables à un marché réglementé

Trois chercheurs de l’Université de Gand et de Louvain mettent en lumière l’échec de l’approche répressive en matière de cannabis en Belgique. Ils constatent que les dépenses consenties à la répression augmentent mais ne résolvent rien. Aussi, ils proposent un marché réglementé pour le cannabis. De quoi relancer le débat public et entre experts.

« La politique belge en matière de cannabis au cours des dernières décennies n’a pas réussi à atteindre ses objectifs. » C’est le constat de Tom Decorte (criminologue), Paul De Grauwe (économiste), Jan Tytgat (toxicologue), trois éminents professeurs de l’Université de Gand et de Louvain, qui plaident pour une évaluation critique de la politique actuelle en matière de cannabis. Dans leur analyse, ils dénoncent un paradoxe de l’approche répressive: plus cette dernière se durcit, plus elle tend à limiter l’offre de drogues ; avec comme conséquences, une augmentation de la rentabilité de la production et de la distribution des drogues illicites, et de plus en plus de gens prêts à courir le risque de se livrer à la production et à la distribution de ces dernières.

Ce qui les conduit au deuxième axe de leur raisonnement, à savoir les effets de l’approche répressive, qui selon eux mène à :

1. Une dissimulation accrue des activités illégales – La politique répressive conduit habituellement à des déplacements géographiques et à des ajustements permanents de l’offre via les circuits illégaux, eux-mêmes facilités par les gains engrangés, ce qui rend finalement l’approche répressive inefficace.

2. Une augmentation de la criminalité – Plus les services d’enquêtes criminelles sont durs, plus les petits producteurs se laissent décourager ; ceux qui restent étant finalement les grands cultivateurs liés à des réseaux criminels professionnels impliqués dans une criminalité beaucoup plus large (trafic d’armes, blanchiment d’argent, etc.) et dont la concurrence est elle-même génératrice de violence.

3. Davantage de problèmes de santé pour les consommateurs – L’approche répressive a aussi pour conséquence que le gouvernement n’a aucun contrôle sur la composition du cannabis en circulation, ce qui pose des problèmes de santé publique spécifiques. L’étude évoque ainsi l’augmentation de la teneur en THC du cannabis (principale substance active) ainsi que la présence de contaminants qu’il peut contenir dépendamment des conditions de production (champignons nuisibles, bactéries, pesticides, engrais non contrôlés, produits de coupe dangereux, etc.).

4. Peu d’attention pour les problèmes sous-jacents – L’approche répressive contraint souvent les usagers non problématiques à rentrer en contact avec des milieux criminels pour obtenir le produit, et elle complique la détection et la prise en charge des difficultés rencontrées par les consommateurs problématiques (dépendance, exclusion sociale, pauvreté, problèmes de santé mentale, etc.).

5. Des dépenses exubérantes sans preuve d’efficacité – Selon l’étude « Drogue en chiffres III » de Belspo, entre 2004 et 2008, les dépenses liées à la répression/sécurité en matière de drogues sont passées de 56,24% à 61,96% de l’ensemble des dépenses publiques liées aux drogues illégales, alors que celles consenties à la prévention ont baissé d’environ 8%.

Pour sortir de la répression: « un éventail d’options »

Pour toutes ces raisons, les auteurs défendent l’idée d’étudier soigneusement l’option politique d’un marché réglementé pour le cannabis, qui permettrait notamment de faciliter le travail des agents de prévention et des travailleurs sociaux, de faciliter l’étude scientifique des conséquences sur la santé de son usage, ainsi que d’améliorer l’offre et l’accès aux traitements.

D’après les chercheurs, la réglementation fournira plusieurs « options » pour réguler l’offre et la demande de cannabis, ainsi que des « outils » pour contrôler sa production. D’une part, les auteurs conseillent de partir de l’analyse des expériences mondiales en matière de réglementation du tabac, de l’alcool et de drogues, ainsi que des différents modèles de réglementation en matière de cannabis (modèle de prescription sur ordonnance d’un médecin, modèle de vente en pharmacie sans ordonnance, modèle de lieux de consommation agréés, etc.). D’autre part, les auteurs mettent en lumière l’intérêt des licences et d’inspections pour contrôler les différentes étapes de la culture jusqu’au produit fini (via par exemple, les « microtaggants » tels que ceux ajoutés aux préparations pharmaceutiques afin d’ assurer leur traçabilité). Les auteurs soulignent aussi que dans un marché réglementé, la manière dont les produits sont mis à disposition (pourcentage maximal de THC, emballage, interdiction de la pub, etc.) et leurs prix (imposition d’une taxe, par exemple) pourraient également faire l’objet d’une politique à l’image d’autres produits. Enfin, un certain nombre de règles (âge, résidence, etc.) pourront plus facilement être imposés aux utilisateurs.

Une série d’obstacles à dépasser

Pour autant, les auteurs n’idéalisent pas la règlementation, puisqu’ils pensent qu’elle n’apportera pas de solution directe à l’usage du cannabis. En effet, la consommation de drogues a toujours existé et même les politiques répressives ne parviennent à l’éradiquer. L’usage d’un produit n’est d’ailleurs pas forcément problématique et la plupart des consommateurs de cannabis en font usage de manière occasionnelle, récréative ou contrôlée. Ce qu’il importe, c’est de prévenir l’usage problématique et d’en améliorer/accélérer la prise en charge, ce qui ne peut correctement se faire dans un contexte de répression de l’usage.

Mais pour atteindre ce « mieux », les chercheurs mettent en lumière une série d’obstacles, telles que la polarisation autour du débat de la règlementation du cannabis (« stricte contre laxiste, libéral contre répressif ») qu’il s’agit de dépasser. Autre défi décrit par les chercheurs : anticiper les hypothèses « erronées » (exemple : la réglementation va faire chuter prix et cela va encore plus attirer les jeunes) des opposants au débat sur les alternatives à la criminalisation du cannabis. Enfin, ils considèrent comme illogique l’approche d’un problème de santé par le droit pénal : « avec l’interdiction du cannabis, le gouvernement veut protéger les citoyens contre eux-mêmes, sans y parvenir ».

Susciter un débat social et politique

Finalement, les auteurs ne plaident en rien pour une attitude de laisser-faire. Au contraire, ils souhaitent faire émerger les conditions d’un débat social et politique sur la réglementation du cannabis. Aussi, ils précisent que cette réflexion vaut également pour les applications thérapeutiques du cannabis et que le débat sur la légalisation porte uniquement sur le fait de réglementer le phénomène « autrement ». « La  réglementation n’est pas nécessairement synonyme de commercialisation », ajoutent-ils, en précisant qu’il ne s’agit en rien d’approuver ou d’encourager l’usage de produits stupéfiants, ni de minimiser les dangers et les risques de la consommation de drogues.

Tout au plus, les auteurs souhaitent amener la société et les politiques à étudier sérieusement les options stratégiques d’un marché réglementé pour le cannabis et d’expérimenter les modèles de réglementation légale du cannabis.

« Cannabis: bis », dans l’air du temps?

Ce plaidoyer rédigé par des chercheurs belges fait écho à des constats partagés sur la scène internationale. Par exemple, un rapport de 2013 de l’Organisation des Etats américains (OEA), encouragé par les pays latino-américains, envisage la décriminalisation et la réglementation des drogues comme un scénario plausible pour obtenir les résultats que la politique répressive n’a pas pu atteindre. Eurotox soutient pleinement de telles initiatives.


RESSOURCES UTILES

– Le plaidoyer « Cannabis: bis? » dans son intégralité, ici

– La récente recherche « The temporal relationship between drug supply indicators: an audit of international government surveillance systems » (2013) montre que le prix des drogues illégales a généralement diminué, tandis que la pureté des produits a généralement augmenté depuis 1990. D’après l’étude, « ces résultats suggèrent que l’expansion des efforts de contrôle du marché mondial des drogues illicites via l’application de la loi sont défaillants ».

– Lire aussi sur Eurotox.org « Diminution de l’usage de cannabis chez les jeunes? »

– Comment réguler le cannabis: Un guide pratique (en anglais)

– Plus d’infos sur le cannabis en Belgique : www.infordrogues.be (< Législation < Le cannabis) et la brochure « Cannabis : permis ou interdit ? Des questions citoyennes« 



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