Des ex-chefs d’Etat appellent à la mise en place d’un marché réglementé de drogues

En vue de l’assemblée de l’Organisation des Nations Unies sur les drogues en 2016, la Commission globale sur les politiques de drogue formule sept recommandations à l’intention de l’ONU. L’une d’elles consiste notamment à appuyer l’expérimentation d’un marché réglementé pour les substances psychoactives. D’après la Commission, la manière la plus efficace de réduire les dommages à grande échelle causés par la prohibition tout en se rapprochant des objectifs de santé publique et de sécurité, consiste à contrôler les drogues dans le cadre d’une réglementation responsable.

A l’approche de la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies (SEAGNU) de 2016 sur les drogues, la Commission globale sur les politiques de drogue appelle à la fin de la criminalisation de l’usage et de la possession de drogues, ainsi qu’à l’expérimentation d’un marché réglementé pour certaines substances psychoactives.

Derrière cette Commission ? Sept ex-présidents du Brésil, Chili, Colombie, Mexique, Pologne, Portugal et Suisse, mais aussi Kofi Annan (ex secrétaire général de l’ONU), Richard Branson (1), George Shultz (2), Paul Volcker (3) (liste non-exhaustive) qui demandent à l’ONU de créer un nouveau régime de contrôle des drogues.

Plus précisément, dans son nouveau rapport intitulé « Prendre le contrôle », la Commission formule sept recommandations :

  • Réorienter les ressources consacrées au mesures répressives inefficaces au profit d’interventions sanitaires et sociales éprouvées (dont la prévention, la réduction des risques et les traitements)
  • Assurer un accès équitable à certains médicaments, en particulier les analgésiques à base d’opiacés
  • Décriminaliser l’usage et la possession pour sa propre consommation
  • Préférer les alternatives à l’incarcération pour les personnes commentant un délit non violent ou au « bas de l’échelle » du trafic de drogue (fermiers, passeurs, petites-mains engagées dans la production, etc.)
  • Réduire le pouvoir des organisations criminelles qui causent des situations de violence et d’insécurité, engendrées par la concurrence qui s’instaure entre ces organisations criminelles
  • Permettre et appuyer les essais dans des marchés légalement réglementés de drogues actuellement interdites, en commençant sans s’y limiter par le cannabis, la feuille de coca et certaines nouvelles substances psychoactives.
  • Profiter de l’occasion offerte par la session de l’ONU en 2016 pour réformer le régime mondial des politiques en matière de drogues. (4)

Concernant sa 6e recommandation sur l’expérimentation d’un marché réglementé, la Commission souligne que « de nouvelles expériences sont requises pour autoriser un accès légal mais restreint à des drogues qui, à ce jour, ne sont disponibles que dans la clandestinité » et que ces expériences devraient englober l’extension de la prescription médicale d’héroïne pour certains usagers dépendants de longue date. Elle ajoute aussi que « la manière la plus efficace de réduire les dommages à grande échelle du régime mondial de prohibition des drogues, et de se rapprocher des objectifs de santé publique et de sécurité, consiste à contrôler les drogues dans le cadre d’une réglementation légale responsable ».

Pour autant, chercher à instaurer de nouveaux modèles réglementaires ne signifie pas que toutes les drogues doivent être accessibles légalement ni qu’elles doivent être régies par les mêmes restriction, indique le rapport.

Et en Belgique?

En Belgique comme ailleurs, le constat de l’échec des politiques en matière de drogues est loin d’être neuf. Fait marquant toutefois, une équipe a récemment objectivé l’échec des politiques répressives (voir Werb et al., 2013) sur base d’un monitoring. Les auteurs ont analysé différentes bases de données internationales, dont celles de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), de manière longitudinale, et ont mis en évidence qu’entre le début des années 90 et la fin des années 2000, la pureté des produits s’est continuellement améliorée et que leurs prix ont progressivement diminué (lorsque l’on tient compte de l’inflation et de l’évolution de leur pureté). Parallèlement, les saisies ont été relativement stables voire en augmentation, alors que les moyens répressifs alloués à la diminution de l’offre n’ont cessé de croître. Globalement, l’analyse longitudinale de ces indicateurs invalide donc clairement l’efficacité de l’approche prohibitionniste, qui devrait logiquement entraîner une diminution de la disponibilité des produits et de leur pureté, ainsi qu’une augmentation de leur prix. Ces mêmes catégories de données sont récoltées en Fédération Wallonie-Bruxelles ou au niveau national.

Pour consulter les chiffres en FWB ou en Belgique: l’Usage des drogues en Fédération Wallonie -Bruxelles > Disponibilité et offre > p.118-127

Quant à la perspective d’un marché réglementé (et sous le contrôle de l’Etat), la position de la Commission rejoint l’idée de Tom Decorte, chercheur belge, qui a récemment défendu l’option politique d’un marché légalement réglementé et encadré pour le cannabis en Belgique. Plus précisément, il s’est penché en détail sur la mise en place d’un tel marché (de la production à la vente de cannabis) et son contrôle.

Voir l’actualité publiée sur notre site, ainsi que l’Usage des drogues en Fédération Wallonie -Bruxelles > p.50

Soulignons aussi que les recommandations de la Commission globale sur les politiques de drogues s’appuient sur divers constats, notamment liés aux délicates questions de l’incarcération des usagers et des dealers, du blanchiment d’argent sale, des conflits et des violences engendrés par la prohibition, etc. L’expression « réduction des risques » (RdR) figure également dans la rapport de la Commission, et plus particulièrement dans celles de l’ex-présidente de la Suisse (cf. communiqué de presse), qui a instauré une politique innovante dite des « quatre piliers ». En Belgique, la RdR n’est d’ailleurs pas encore officiellement reconnue comme pilier à part entière de la politique de drogues. Toutefois, un plan RdR vient de voir le jour à Bruxelles et diverses actions de RdR sont d’ores et déjà financées. Il reste toutefois encore à mettre en œuvre ce plan, en se basant sur les actions jugées prioritaires par les acteurs de terrain qui l’ont élaboré. Parmi ces actions, l’ouverture de salles de consommation à moindre risque. Mais pas seulement.

Plus de détails sur ce plan dans l’Usage des drogues en Fédération Wallonie-Bruxelles > Cadre légal et organisationnel > p.39

Plus de détails sur une proposition de la belge pour légaliser l’héroïne médicale dans l’Usage des drogues en Fédération Wallonie-Bruxelles > Cadre légal et organisationnel > p.47

De l’international au national ?

Ce n’est pas la première fois que cette Commission se positionne en défaveur de la prohibition (voir ses 3 précédents rapports). Et ce n’est  pas la seule institution à se positionner de la sorte. De nombreux experts partagent son point de vue, et plusieurs pays (dont l’Uruguay) sont d’ores et déjà passés à l’étape ultérieure, en mettant en place un modèle de régulation pour le cannabis.

De son côté, le bureau des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a même admis en décembre 2013 que « dépénaliser la consommation de drogues peut être un moyen efficace de désengorger les prisons, de réaffecter les ressources au traitement et, au bout du compte, de faciliter la réadaptation, la requalification et la réinsertion des toxicomanes » (5).

Compte-tenu de la prochaine assemblée de l’ONU sur les drogues, certains jugeront peut-être que ces recommandations d’ex-présidents arrivent à point nommé (bien qu’ils ne sont toutefois plus au pouvoir pour faire valoir leur point de vue!). D’un autre côté, d’autres s’appuieront peut-être sur cet élan international pour relancer le débat au niveau national, afin de faire évoluer chez eux le cadre légal applicable aux drogues.

Pour lire le rapport de la Commission : http://www.globalcommissionondrugs.org

 


(1) Homme d’affaires britannique, fondateur du groupe Virgin

(2) Ex-secrétaire au Trésor et d’État aux USA

(3) Economiste américain, ex-directeur de la Réserve fédérale des États-Unis

(4) Source: les 7 recommandations telles que formulées dans le rapport « Prendre le contrôle : sur la voie de politiques efficaces en matière de drogues »

(5) «Contribution du Directeur exécutif de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime à l’examen de haut niveau de l’application de la Déclaration politique et du Plan d’action sur la coopération internationale en vue d’une stratégie intégrée et équilibrée de lutte contre le problème mondial de la drogue, auquel la Commission des stupéfiants doit procéder en 2014», décembre 2013.



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