Aux États-Unis, en date du 20 novembre 2019[1], 2290 hospitalisations (dont 47 décès) ont été recensées dans près de 50 Etats sur quelques mois, faisant état de maladies respiratoires aiguës chez des adeptes du vapotage[2]. Il s’agissait pour la plupart de personnes de moins de 35 ans, en bonne santé et pour lesquelles les causes habituelles de maladies pulmonaires ont pu être écartées. L’enquête menée par les autorités de santé américaines a permis d’isoler un dénominateur commun : l’utilisation d’une cigarette électronique (vapoteuse) pour consommer des produits non-réglementaires (contenant le plus souvent du THC).
Des analyses supplémentaires ont permis d’incriminer l’acétate de vitamine E comme agent pathogène, mais il n’est actuellement pas exclu que d’autres substances puissent également être impliquées[3]. En Belgique, le premier décès apparemment induit par le vapotage d’une substance toxique est survenu en novembre 2019.
L’acétate de vitamine E est une substance liposoluble extraite d’huiles végétales. Elle est inoffensive lorsqu’elle est consommée par voie orale (généralement pour ses propriétés antioxydantes). En revanche, inhalée après échauffement dans une cigarette électronique, elle ne parvient pas à être métabolisée et se « colle » aux alvéoles pulmonaires, entraîne leur inflammation, et les rend incapables de fonctionner correctement et d’oxygéner le sang : on parle alors de pneumopathie lipidique (ou lipoïdique) exogène. Il est vraisemblable que la vitamine E soit utilisée par les fabricants pour faciliter l’extraction du THC des fleurs de cannabis ou pour en améliorer la conservation. Mais d’autres huiles pourraient aussi être en cause car, de manière générale, l’inhalation de diverses huiles peut provoquer une pneumopathie lipidique (Ukkola-Pons et al., 2010).
Malgré cette crise sanitaire, le discrédit jeté sur la cigarette électronique nous semble inapproprié, et le débat sur sa dangerosité peu rationnel. La cigarette électronique est en effet un dispositif intéressant sur le plan de la santé publique, dans la mesure où elle permet de réduire les risques liés à l’inhalation des produits du tabac. Il n’est pas inutile de rappeler que le tabac reste une des causes principales de décès dans les pays occidentalisés, qui tue chaque année plus de 8 millions de personnes à travers le monde. La cigarette électronique n’est pas dangereuse en tant que telle. En revanche, tous les produits ne sont pas forcément destinés à être vapotés, et certains peuvent manifestement s’avérer dangereux. Discréditer la cigarette électronique en raison de l’actuelle crise sanitaire équivaut, de notre point de vue, à remettre en question l’intérêt de la seringue à aiguille creuse sous prétexte que celle-ci serait responsable de l’épidémie de maladies infectieuses chez les usagers de drogues par injection…
Les principaux composants utilisés dans les e-liquides commercialisés (propylène glycol, glycérine végétale, arômes) ne semblent pas nocifs pour la santé en usage aigu. En revanche, leurs effets à long terme sur la santé ne sont toujours pas connus en raison du manque de recul sur leur utilisation. Mais selon toute vraisemblance, ils seraient minimes ou moindres que ceux induits par le tabac. L’exemple des Etats-Unis met en revanche clairement en évidence les risques liés à la consommation de produits vendus au marché noir, dont la composition n’est bien évidemment pas contrôlée (voir Layden et al., 2019). Les différents composés des liquides pour e-cigarette peuvent être achetés séparément, laissant aussi aux usagers la possibilité de fabriquer et doser leur propre recharge. On ne peut donc pas exclure l’ajout de composés supplémentaires impropres à la consommation par vapotage dans certains cas d’intoxication (par exemple, une huile de CBD destinée à être consommée par ingestion, telle que celle vendue dans les CBD shops). Le cas de décès récemment survenu en Belgique fait l’objet d’une instruction de manière à pouvoir identifier un éventuel agent pathogène dans l’e-liquide consommé par la jeune victime.
Actuellement en Belgique, avant toute mise sur le marché, les fabricants d’e-liquide doivent notifier et soumettre au SPF Santé publique la liste des ingrédients des produits destinés à la vente. Mais l’évaluation des risques sanitaires liés aux substances contenues dans les e-liquides revient aux fabricants, importateurs et/ou distributeurs[4]. Et seuls les e-liquides contentant de la nicotine bénéficient d’une liste officielle de substances interdites (additifs cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques). Les produits à base de CBD (cannabidiol) vendus en Belgique ne bénéficient donc pas non plus d’une réglementation claire et spécifique permettant d’apporter des garanties aux usagers sur le plan de la santé publique, puisqu’aucune norme de composition n’est imposée aux fabricants.
Dans la mesure où le contrôle de la qualité et de la dangerosité des e-liquides commercialisés dépend des seules initiatives des fabricants, certains e-liquides actuellement commercialisés sont susceptibles de contenir des substances dangereuses pour la santé. L’absence de contrôle de qualité impartial n’est pas propice à la santé des usagers d’e-cigarettes. Dans ce contexte, il est vivement déconseillé de consommer des produits de provenance non-officielle (amis, famille, dealer, sites Internet[5]). Les produits de vapotage à base de CBD doivent également être considérés avec prudence en raison de l’absence de normes sanitaires en ce qui concerne les produits vendus sur le territoire belge. Il est aussi vivement déconseillé de rajouter de l’huile de CBD ou de THC dans des e-liquides, car ces huiles ne sont pas prévues pour être consommées par vapotage. La glycérine utilisée dans les e-liquides commercialisés est certes visqueuse, mais il ne s’agit pas d’une huile. Elle est inoffensive pour les poumons et est d’ailleurs utilisée dans des médicaments administrés par aérosol.
Nous pensons qu’informer objectivement et responsabiliser les utilisateurs de la cigarette électronique sur les risques liés à son utilisation et sur les moyens de les minimiser est une stratégie plus efficace que la prévention par la peur ou par l’interdit. Rappelons à ce propos que selon l’enquête de santé par interview 2018, 3,8% de la population wallonne et 3,4% de la population bruxelloise utiliserait la cigarette électronique de manière régulière, et entre 1 et 2% de manière quotidienne.
Remarque : Cet article est une adaptation d’une réponse à une question parlementaire élaborée conjointement par Eurotox et le FARES.
Wallonie |
15-24 ans
% (n=295) |
25-34 ans
% (n=327) |
35-44 ans
% (n=426) |
45-54 ans
% (n=524) |
55-64 ans
% (n=505) |
65-74 ans
% (n=374) |
75 ans et +
% (n=297) |
Total
% (N=2.748) |
Usage régulier de la cigarette électronique (au moins une fois par semaine) | ||||||||
Hommes | 6,9 | 11,0 | 8,1 | 5,4 | 2,5 | 2,6 | 0,0 | 5,6 |
Femmes | 2,4 | 4,7 | 2,1 | 4,2 | 0,5 | 0,6 | 0,0 | 2,2 |
Total | 4,7 | 7,7 | 5,0 | 4,8 | 1,5 | 1,6 | 0,0 | 3,8 |
Usage quotidien de la cigarette électronique | ||||||||
Hommes | 1,3 | 3,6 | 2,5 | 4,4 | 1,4 | 0,1 | 0,0 | 2,1 |
Femmes | 0,1 | 2,7 | 0,6 | 1,2 | 0,0 | 0,5 | 0,0 | 0,8 |
Total | 0,7 | 3,1 | 1,5 | 2,8 | 0,7 | 0,3 | 0,0 | 1,4 |
Source : Enquête HIS 2018 (Drieskens et al.)
Bruxelles | 15-24 ans
% (n=121) |
25-34 ans
% (n=301) |
35-44 ans
% (n=364) |
45-54 ans
% (n=299) |
55-64 ans
% (n=276) |
65-74 ans
% (n=220) |
75 ans et +
% (n=150) |
Total
% (N=1.731) |
Usage régulier de la cigarette électronique (au moins une fois par semaine) | ||||||||
Hommes | 3,9 | 6,4 | 5,2 | 3,4 | 4,1 | 0,0 | 0,0 | 4,1 |
Femmes | 4,2 | 2,8 | 2,0 | 2,5 | 2,8 | 5,9 | 0,0 | 2,8 |
Total | 4,1 | 4,6 | 3,6 | 3,0 | 3,4 | 3,3 | 0,0 | 3,4 |
Usage quotidien de la cigarette électronique | ||||||||
Hommes | 2,8 | 3,7 | 2,6 | 1,2 | 0,7 | 0,0 | 0,0 | 2,0 |
Femmes | 2,8 | 1,4 | 1,2 | 1,3 | 1,9 | 0,6 | 0,0 | 1,4 |
Total | 2,8 | 2,6 | 1,9 | 1,3 | 1,4 | 0,4 | 0,0 | 1,7 |
Source : Enquête HIS 2018 (Drieskens et al.)
Références :
Butt, Y.M., Smith, M.L., Tazelaar, H.D., Vaszar, L.T., Swanson, K.L. et al., (2019). Pathology of Vaping-Associated Lung Injury. The New Journal of Medecine.
Layden, J.E., Ghinai, I., Pray, I., Kimball, A., Layer, M. et al., (2019). Pulmonary illness related to E-cigarette use in illinois and wisconsin — preliminary report. The New Journal of Medecine.
Ukkola-Pons, E. et al. (2010). Imagerie de la pneumopathie huileuse. Feuillets de radiologie, 50, 3-9.
https://www.cdc.gov/tobacco/basic_information/e-cigarettes/severe-lung-disease.html
[1] https://www.cdc.gov/tobacco/basic_information/e-cigarettes/severe-lung-disease.html
[2] Les symptômes incluent le plus souvent un essoufflement, une toux, des douleurs thoraciques, des vomissements, des diarrhées, des douleurs abdominales et de la fièvre. Dans les cas sévères, une assistance respiratoire est nécessaire. Les imageries thoraciques mettent en évidence des signes d’opacités dans les poumons.
[3] D’après certaines analyses histologiques, il semblerait que d’autres agents pathogènes puissent également être impliqués, bien qu’ils n’aient pas encore été identifiés (voir Butt et al., 2019).
[4] L’évaluation est censée porter sur les substances et sur le mélange de ces substances, et aboutir à une classification en différentes catégories de danger. Le caractère dangereux des substances doit être signalé sur l’emballage ou l’étiquette des e-liquides.
[5] L’achat d’e-liquide sur Internet étant d’ailleurs interdit en Belgique.