Les intoxications à l’alcool chez les mineurs d’âge: quels sont les constats?

On a très récemment lu et entendu dans la presse que les mineurs d’âge sont particulièrement nombreux à finir aux urgences suite à une consommation excessive d’alcool. Le nombre de cas chez ces jeunes serait aussi en augmentation. Entre la réalité d’une consommation à risque effectivement élevée chez les jeunes et les affirmations selon lesquelles ce phénomène est en explosion, qu’en est-il vraiment ?

En Belgique, il n’existe pas à l’heure actuelle de monitoring des intoxications liées à l’usage d’alcool, ni aux drogues illégales. A défaut d’être directement comptabilisées, les intoxications à l’alcool peuvent en revanche être estimées de manière indirecte. C’est ce que fait chaque année l’Agence intermutualiste en exploitant les données relatives aux facturations des soins de santé des bénéficiaires de l’assurance maladie obligatoire (soit environ 99% de la population).

Pour estimer l’intoxication alcoolique, l’agence utilise l’indicateur suivant: le nombre de bénéficiaires ayant été pris en charge au cours de l’année civile par un service d’urgences, et éventuellement ayant été admis à l’hôpital, ou ayant été admis pour une nuit à l’hôpital sans prise en charge par le service d’urgence, et s’étant fait attester ce même jour une prestation déterminant la concentration d’alcool dans le sang.

Cet indicateur n’étant pas une estimation directe de l’intoxication alcoolique, il est associé à un certain nombre de faux positifs (personnes inclues à tort) et de faux négatifs (personnes exclues à tort) :

  • les personnes intoxiquées par l’alcool non prises en charge par les services d’urgence ou hospitaliers;
  • les personnes intoxiquées par l’alcool effectivement prises en charge mais dont la concentration d’alcool dans le sang n’a pas été établie;
  • les personnes prises en charge et ayant été soumises à un test d’alcoolémie dont le résultat s’est avéré négatif (le critère d’inclusion est le fait d’y avoir été soumis, car l’Agence intermutualiste n’a pas accès aux résultats des tests)[1].

Par ailleurs, la notion d’intoxication alcoolique à laquelle est censée référer cet indicateur n’est pas précisée. Est-il question d’ivresse ou de coma éthylique ? Probablement des deux, puisqu’une ivresse peut favoriser certaines conduites à risque ainsi que la survenue d’accidents pouvant conduire à une atteinte de l’intégrité physique d’un individu, entraînant un passage par les services d’urgence.

En résumé, les données publiées par l’Agence intermutualiste, bien qu’intéressantes et utiles pour nous éclairer sur les conséquences de la consommation d’alcool, doivent être considérées avec prudence en raison du manque de sensibilité et de spécificité de l’indicateur. Il pourrait être utile de mesurer ces paramètres afin de pouvoir corriger l’estimation, par exemple en réalisant une enquête auprès d’un échantillon de services d’urgence dans le but de mieux connaître leur pratique d’utilisation des tests d’alcoolémie.

Toutes ces réserves en mémoire, comme on peut le voir dans le tableau suivant, le nombre de bénéficiaires de l’assurance maladie obligatoire (par tranche de 10.000 bénéficiaires) ayant supposément présenté une intoxication alcoolique augmente fortement avec l’âge des bénéficiaires. Ce ne sont donc pas les jeunes de moins de 18 ans qui y seraient le plus exposés. Mais il y a probablement une surestimation des cas chez les adultes en raison de l’application de tests d’alcoolémie lors d’accidents de la route avec dégâts corporels.

Au sein de chaque tranche d’âge, ce nombre subit de légères fluctuations en dents de scie au fil du temps, la plus manifeste étant observée entre 2015 et 2017 chez les 65 ans et plus. Il ne semble donc pas y avoir une véritable « explosion » des cas chez les mineurs d’âge, bien que le nombre de cas paraît inquiétant.

Nombre de bénéficiaires de l’assurance santé obligatoire supposément intoxiqués par l’alcool, par tranche de 10.000 bénéficiaires

  2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017
Bruxelles 12-17 ans 18 21 23 19 18 17 17 16 15 17
18-29 ans 45 43 45 47 46 44 42 42 45 48
30-44 ans 51 54 49 47 47 48 47 42 46 49
45-64 ans 86 82 82 79 81 77 72 72 74 77
65 ans et + 62 58 67 71 66 66 65 64 73 88
Wallonie 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017
12-17 ans 40 40 40 39 38 36 40 39 36 40
18-29 ans 84 85 86 88 89 90 88 87 87 87
30-44 ans 95 99 96 96 98 96 98 96 97 93
45-64 ans 113 119 119 122 125 125 125 125 122 120
65 ans et + 73 79 81 87 94 97 102 100 104 102

Deux constats complémentaires méritent d’être évoqués :

  • on n’observe pas de différence entre les filles et les garçons chez les mineurs d’âge alors que chez les adultes, les hommes sont systématiquement plus concernés que les femmes. Ce constat est compatible avec les données relatives à la consommation d’alcool, qui montrent que certaines différences de genre s’amenuisent chez les jeunes ;
  • les Wallons sont davantage concernés que les Bruxellois, quels que soient l’année, le sexe et la tranche d’âge. A nouveau, ce constat est compatible avec les données relatives à la consommation d’alcool, qui montrent que les Wallons en sont de plus grands consommateurs que les Bruxellois, y compris les jeunes : dans l’enquête HBSC 2014, qui porte sur les comportements de santé des jeunes de l’enseignement secondaire, 12,8% des jeunes wallons interrogés ont déclaré consommer de l’alcool de manière hebdomadaire, contre 4,6% des jeunes bruxellois.

Pour conclure, il n’est évidemment pas question de douter de l’existence d’une consommation d’alcool à risque et d’une banalisation des comportements d’alcoolisation excessive chez certains jeunes. Mais les intoxications alcooliques ne paraissent pas plus fréquentes chez les mineurs que par le passé. En revanche, elles semblent beaucoup plus fréquentes en Wallonie qu’en Région bruxelloise.

Pour en savoir plus sur les données de l’Agence intermutualiste :

http://atlas.aim-ima.be/base-de-donnees

Pour en savoir plus sur les données relatives à la consommation d’alcool en Wallonie et à Bruxelles

Rapport Eurotox 2017 sur l’usage de drogues en Wallonie et à Bruxelles

[1] On sait par exemple, qu’en cas d’accidents de la route avec dégâts corporels, un test d’alcoolémie doit légalement être réalisé auprès des conducteurs impliqués. En cas d’accidents légers, il est généralement réalisé par les services de police, mais en cas d’accidents graves, il est réalisé par les services d’urgence ou hospitaliers. Or tous les accidentés de la route ne sont bien entendu pas sous imprégnation alcoolique.

 



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