Depuis 2002, la Commission européenne finance des Flash Eurobaromètres, sous la forme d’enquêtes téléphoniques thématiques menées auprès de groupes cibles. Le Flash Eurobaromètre 401 Young people and drugs, publié en août dernier, a permis d’appréhender l’attitude des jeunes par rapport aux drogues ainsi que l’évolution de leur consommation de certaines substances. Plus de 13 000 jeunes âgés de 15 à 24 ans en provenance des 28 pays membres de l’Union européenne (UE) y ont participé.
La dernière levée du Flash Eurobaromètre Young people and drugs s’est tenue en juin dernier. Elle a permis de sonder l’attitude des jeunes par rapport aux drogues ainsi que leur consommation de certaines substances. Au total, un échantillon de 13.128 jeunes âgés de 15 à 24 ans en provenance des 28 pays membres de l’UE a été interrogé, généralement à hauteur de 500 répondants par pays. Afin de garantir une représentativité des échantillons nationaux, les responsables de l’enquête ont sélectionné aléatoirement les participants via l’utilisation de registres de téléphones fixes et mobiles, et ce en suivant une méthode standardisée et identique pour chaque pays.
Consommation de cannabis et de legal highs
L’enquête réalisée en 2014 révèle que 26% des Belges de 15 à 24 ans ont déclaré avoir consommé au moins une fois du cannabis au cours de leur vie, tandis que l’usage récent (12 derniers mois) s’élève à 13%, et l’usage actuel (30 derniers jours) à 5%. Ces niveaux de prévalence sont légèrement inférieurs aux moyennes européennes (31%, 17% et 7%, respectivement). Ils sont également en diminution par rapports à ceux observés en Belgique lors du Flash Eurobaromètre réalisé en 2011 (-2%, -4% et -3%, respectivement).
Cette enquête révèle aussi que la majorité des répondants (58% des Européens et 59% des Belges) estime qu’il leur serait assez voire très facile de se procurer du cannabis endéans 24 heures. Ces résultats suggèrent donc que le cannabis est un produit hautement attractif pour les jeunes et perçu comme facilement disponible malgré son interdiction dans la majorité des pays.
La prévalence d’usage de legal highs[1] sur la vie s’élève quant à elle à 8% pour les répondants belges et européens[2]. Il s’agit-là d’une augmentation par rapport à 2011 (+3% pour les jeunes européens et +4% pour les jeunes belges). Cette augmentation, qui touche globalement tous les pays européens, témoigne du succès grandissant de ces produits auprès des jeunes, qui pourrait en partie s’expliquer par une meilleure connaissance de l’existence de ces produits. En 2014, des questions relatives à l’usage récent et actuel ont également été introduites dans l’enquête et il apparait qu’ils sont peu fréquents, puisque seulement 1% des répondants belges et européens ont déclaré avoir consommé l’un de ces produits au cours des 30 derniers jours et 3-4% au cours des 12 derniers mois. Même si cette enquête ne fournit pas d’indication sur la fréquence de consommation, il est donc probable que l’usage que les jeunes en font soit, pour la plupart, essentiellement expérimental ou très occasionnel.
Si l’on rapporte le pourcentage d’expérimentation (usage sur la vie) enregistré en Belgique à la taille de la population belge âgée de 15 à 24 ans observée au moment de l’enquête (à savoir 1.342.717 personnes), et pour autant que l’échantillon soit effectivement représentatif de cette population, on peut estimer qu’environ 107.400 jeunes belges de cet âge (±35.000[3]) ont déjà consommé au moins une fois un euphorisant légal.
Modes d’approvisionnement, contextes de consommation et disponibilité perçue des legal highs
Les jeunes qui ont consommé des legal highs au cours des 12 derniers mois[4] les ont généralement achetés ou reçus d’un ami (68% des Européens et 87% des Belges) ou achetés auprès d’un dealer (27% des Européens et 35% des Belges), et les ont rarement achetés sur Internet (3% des Belges et des Européens). En ce qui concerne les contextes de consommation, ces substances sont le plus souvent consommées entre amis (pour 60% des Européens et 100% des Belges), ou lors d’une fête ou d’un événement (65% des Européens et 76% des Belges), et le sont plus rarement seul et en privé (15% des Européens et 9% des Belges).
En ce qui concerne la disponibilité perçue, 25% des Européens et 20% des Belges interrogés estiment qu’il serait facile d’obtenir une de ces substances dans les 24 heures.
Ces données suggèrent qu’une partie des jeunes de 15-24 ans sont effectivement conscients que les legal highs sont facilement disponibles. Néanmoins, ils sont très peu nombreux à les acheter sur Internet. On notera toutefois que cette question ne renseigne que sur le mode d’approvisionnement individuel, et non sur l’origine des produits, ceux-ci pouvant avoir été commandés initialement sur Internet par un ami, un dealer ou encore le gérant d’un smartshop.
Dangerosité perçue et options de régulation de la disponibilité des legal highs
En ce qui concerne la dangerosité perçue, 86% des Européens interrogés (89% des Belges) estiment que consommer une ou deux fois un legal high engendre un risque modéré ou élevé pour la santé de l’usager, contre 96% (98% des Belges) en cas d’usage régulier. Cette enquête met également en évidence une autre donné intéressante : elle concerne l’attitude des jeunes par rapport aux options de régulation de ces nouveaux produits. Il apparait que seulement 35% des jeunes européens (38% des Belges) sont favorables à une interdiction de ces substances en toutes circonstances, alors que 47% des répondants européens (42% des Belges) estiment qu’il ne faudrait interdire que les substances qui présentent un risque pour la santé. Enfin, 15% des jeunes européens (16% des Belges) sont favorables à la mise en place d’un marché réglementé.
Ces derniers résultats, qui sont pratiquement similaires à ceux observés en 2011, suggèrent que les jeunes européens sont généralement conscients des risques que peut engendrer la consommation régulière mais aussi ponctuelle de ces substances. Toutefois, ils sont davantage favorables à la mise en place d’un marché réglementé des legal highs, qu’ils ne le sont pour les drogues illégales (à l’exception du cannabis).
Perspectives
Si la consommation de legal highs a augmenté en Belgique entre 2011 et 2014, elle n’y est pas particulièrement élevée, si on la compare à celle relevée dans les autres pays de l’UE. Cette disparité peut s’expliquer en partie par des différences culturelles (propension à effectuer des achats sur Internet, présence de smartshops dans le pays, etc.), mais elle pourrait aussi être due à des variations au niveau de la disponibilité des drogues illégales classiques. Ainsi, dans le cas de la Belgique, qui est un petit pays avec une forte densité de population et dans lequel la production et l’importation de drogues illégales est importante, les produits classiques (cannabis, MDMA, amphétamines, héroïne, cocaïne…) sont facilement disponibles, et avec un rapport qualité/prix satisfaisant pour le consommateur, ce qui pourrait expliquer le faible intérêt des Belges pour ces nouveaux produits.
Dans d’autres pays toutefois, les legal highs concurrencent davantage les produits classiques. Ils peuvent dès lors inquiéter les autorités sanitaires, compte-tenu des cas d’intoxications aiguës sérieuses et parfois mortelles ayant été recensés suite à la consommation de certaines nouvelles drogues de synthèse (NDS). En effet, le profil pharmacologique et toxicologique des NDS est généralement peu documenté voire inconnu. Il convient dès lors de les appréhender avec prudence en raison des incertitudes quant aux effets, dosage ou encore risques associés à leur consommation, ce que les usagers plus naïfs ou trop confiants ne font pas forcément. Les risques sont aussi majorés et surtout difficiles à évaluer pour plusieurs raisons: 1) la fabrication et le reconditionnement de ces substances se fait en dehors de tout contrôle sanitaire, d’où le risque de mélange de molécules, d’erreur d’étiquetage, de dosage approximatif ou encore de contamination bactérienne ; 2) ces substances circulent aussi parfois sur le marché noir comme ersatz de drogues illégales, sans que l’usager en soit informé ; 3) leur dosage ne tolère pas les approximations, certaines NDS pouvant être mortelles à partir de quelques milligrammes! Malgré cela, elles sont généralement vendues sans notice d’utilisation, puisqu’elles ne sont pas proposées comme destinées à la consommation humaine…
Pour faire face à ce phénomène, la Belgique a récemment pris l’option d’élargir la portée de l’arsenal prohibitif en interdisant anticipativement les nouvelles générations de molécules (et rétrospectivement les anciennes) sur base de classifications génériques. Alors que la prohibition est manifestement inefficace et contre-productive en matière de lutte contre l’usage de drogues, que le dark net devient un mode alternatif et discret d’accès aux produits interdits, et que d’autres alternatives encourageantes sont initiées (les marchés réglementés), la réponse belge peut donc paraître plus que jamais inappropriée.
Et au niveau européen, une directive et un règlement ont été proposés en septembre 2013 de manière à accélérer l’interdiction de la commercialisation des nouvelles substances qui présentent un risque important pour la santé, mais à l’heure actuelle ils n’ont pas encore été ratifiés.
Plus d’info sur le Flash Eurobaromètres 2014:
Le rapport : http://ec.europa.eu/public_opinion/flash/fl_401_en.pdf
Les données : http://ec.europa.eu/public_opinion/flash/fl_401_data_en.pdf
La fiche récapitulative belge : http://ec.europa.eu/public_opinion/flash/fl_401_fact_be_en.pdf
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[1] La notion d’euphorisant légal (legal high) est un terme générique qui regroupe l’ensemble des substances psychoactives vendues légalement à un moment donné. Il comprend d’une part des produits d’origine végétale légèrement psychoactifs vendus dans des smartshops ou via Internet depuis plus d’une décennie et n’ayant jamais véritablement posés des problèmes d’ordre sanitaire (e.g. Kratom, laitue vireuse, damiana), et couvre surtout d’autre part les nouvelles substances psychoactives d’origine synthétique (ou nouvelles drogues de synthèse) qui n’ont pas encore été interdites et qui peuvent parfois être présentées sous forme végétale (après avoir été mélangées à des extraits inactifs). Ces derniers produits sont généralement synthétisés en Chine ou en Inde et sont soit vendus à l’état brut comme « research chemicals » via Internet, ou sont reconditionnés afin de leur donner l’apparence de la drogue qu’ils imitent. Ils sont ensuite vendus sur Internet et parfois aussi dans des smartshops, avec un marketing attractif. Généralement, ces molécules sont détournées de leur usage initial (la recherche scientifique) voire sont spécialement mise au point pour contourner les lois sur les drogues.
[2] Comme on peut le voir dans le tableau, il existe une importante disparité entre pays en ce qui concerne l’usage de ces substances. Ainsi, 22% des jeunes Irlandais interrogés ont déclaré en avoir déjà consommé, suivi par 13% des répondants espagnols et slovaques et 12% des jeunes français, ces trois derniers pays étant ceux où l’on observe la plus forte augmentation de l’usage de ces produits par rapport à 2011.
[3] Les intervalles de confiance ont été calculés par nos soins. La marge d’erreur de l’estimation est particulièrement importante en raison de la taille de l’échantillon.
[4] Au total 508 jeunes européens et 17 jeunes belges ont déclaré avoir consommé au moins un fois un de ces produits au cours des 12 derniers mois. En raison du faible nombre de Belges concernés par cette consommation, les pourcentages relatifs à la Belgique sont fournis uniquement à titre indicatif et doivent être appréhendés avec prudence.