Les peines alternatives à la prison

Les prisons sont remplies pour moitié de personnes condamnées pour des faits liés aux drogues. Or ce type de punition est loin de remplir ses objectifs en termes de récidive et de dissuasion. Au contraire, l’incarcération a des effets délétères sur la santé des personnes détenues et participe à la précarisation et marginalisation de populations déjà socialement défavorisées et des personnes racisées. Des alternatives existent afin de rendre le système judiciaire et coercitif plus humain et respectueux des droits de chacun·e, voire de changer de paradigme, et d’ainsi améliorer la santé publique et tendre vers une société plus juste et équitable.

L’histoire des prisons et de l’incarcération est un sujet complexe (voir notamment Foucault, 1975). Si elle peut répondre à un besoin d’écarter les individus dangereux de la société ou prévenir la fuite d’une personne coupable d’un délit ou d’un crime, la prison ne remplit pas toujours son rôle dissuasif et n’a actuellement pas les moyens de participer à une réelle réinsertion des personnes incarcérées dans la société. Elle n’est pas non plus adaptée à la prise en charge des personnes ayant des problèmes mentaux ni de celles ayant une consommation problématique de drogues licites et illicites qui constituent une partie non négligeable de la population carcérale. Il existe pourtant des solutions qui permettraient de rendre la justice, prévenir la récidive, participer à casser les spirales de précarisation et criminalisation, et réduire la surpopulation en prison.

La Belgique compte 35 prisons : 17 dans le Nord du pays, 16 au Sud et 2 à Bruxelles. En 2017, la capacité moyenne journalière de l’ensemble de ces établissements s’élevait à 9.231 places. Toutefois, les prisons belges accueillaient une moyenne journalière de 10.471 personnes (SPF Justice, 2018).

Sur ces 10.471 personnes détenues, on compte 35% de personnes prévenues (en détention provisoire, en attente d’une décision judiciaire définitive), 55% de personnes condamnées, 6% personnes internées (internement prononcé en raison de leur état mental) et 1% d’autres personnes détenues.

N.B. : Les alternatives présentées ici, ainsi que la réflexion générale qui les entoure, concernent davantage les délits (détention de drogues illicites, contentieux routier, racolage, vol, coups et blessures, vente à la sauvette, etc.), que les crimes (viol, meurtre, vol avec violence, etc.).

1. LES PROBLÈMES LIÉS À LA DÉTENTION

Surpopulation

Le Comité européen de prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe s’était inquiété de la surpopulation carcérale suite à sa visite des prisons belges en 2013. La surpopulation persistait malgré l’augmentation du parc pénitentiaire. Suite à cette visite, le taux moyen de surpopulation a globalement baissé, passant de 24,1% à 11,8% en 2017. Le taux moyen de surpopulation n’est toutefois pas représentatif de la situation dans chaque établissement. Certaines prisons ne sont en effet pas ou moins surpeuplées que la moyenne, tandis que d’autres dépassent (largement) cette moyenne. En 2016 et 2017, 11 établissements pénitentiaires avaient un taux moyen de surpopulation supérieur à 25% (7 dépassent les 35%) (SPF Justice, 2018). La situation reste donc préoccupante dans certaines prisons et, comme le souligne le CPT, la seule extension de la capacité carcérale n’est pas une solution suffisante ni durable aux problèmes de surpopulation. Des politiques limitant le nombre de personnes détenues sont nécessaires et la détention doit rester une sanction ultime (OIP Belgique, 2016 ; CPT, 2018).

La surpopulation s’explique par trois facteurs principaux (OIP Belgique, 2016 ; Fassin, 2019) :

  • La détention préventive : en moyenne 35% de la population carcérale est en détention préventive ;
  • La multiplication et l’allongement des peines : la recherche a montré un allongement général des peines prononcées, sans que la criminalité ne connaisse une augmentation. La pénalisation de nouveaux types de comportements (incivilités, environnement, cybercriminalité, etc.) pèse également dans la balance ;
  • Les libérations conditionnelles trop rares : elles sont en effet attribuées de plus en plus tard et leur obtention se fait de plus en plus ardue, notamment à cause de conditions restreintes d’octroi et d’un personnel psychosocial pénitentiaire en sous-effectif dont le rôle est notamment d’assurer le suivi, l’accompagnement psychosocial et la (ré)insertion dans la société.

La surpopulation a de nombreuses conséquences sur le quotidien des personnes détenues, qu’elles soient sociales (tensions entre les co-détenu·es et/ou avec les agent·es pénitentiaires), mentales (manque d’intimité, conflits, nombre de sorties limité, etc.), sanitaires et physiques (hygiène problématique, promiscuité, transmissions de maladies infectieuses, manque de suivi des médecins, etc.), ou encore matérielles (matelas au sol, manque d’essuis de bain, d’oreillers, de sous-vêtements, de chaussures, … en bon état). De plus, dans un contexte de surpopulation, le travail en prison devient plus difficile pour un personnel pénitentiaire en sous-effectif. L’aspect social et l’objectif de réinsertion sociale1 passent dès lors au second plan, pour laisser place à la gestion quotidienne et logistique.

Mauvaises conditions de détention et état de santé

Les personnes détenues sont en moins bon état de santé physique et mentale que la population générale (Mistiaen et al, 2017). Les conditions de détention jouent un rôle aggravant dans l’état de santé des personnes détenues. Les conditions d’hygiène (accès aux douches, insalubrité des cellules, présence de nuisibles, etc.), la surpopulation, la promiscuité et le manque d’intimité, les contacts humains limités, une alimentation peu nutritive et en quantité insuffisante, les visites, l’accès limité aux soins et services internes et externes à la prison, ou encore le manque d’activité hors cellule, sont autant d’éléments qui ont un impact réel sur leur état de santé mentale et physique.

Dans les lettres, le contexte législatif belge n’établit pas de distinction entre les personnes détenues et les personnes vivant extramuros en matière d’accès aux soins de la santé, et les premières devraient bénéficier de soins équivalents. Ceci est vrai dans la Constitution, dans la loi relative aux droits du patient du 22 août 2002 et dans la loi de Principes du 12 janvier 2005 (dite aussi Loi Dupont). Dans la pratique cependant, la privation de liberté s’accompagne trop souvent d’une privation des services de santé ou d’une obstruction de l’accès à ceux-ci (y compris pour les personnes entrant en prison avec une consommation problématique de drogues). L’accès aux soins et aux outils de réduction des risques est largement restreint en milieu carcéral, ce qui amplifie les risques inhérents à la prise de drogues et d’autres activités, et contraint à adopter des comportements à risque (rapports sexuels non protégés, injection, tatouage et piercing avec du matériel usagé)2.

Le CPT relève des différences entre les structures récentes et les plus anciennes qui sont souvent vieillissantes voire vétustes et où maintenir des conditions d’hygiène satisfaisantes peut constituer un véritable défi (CPT, 2018). De plus, le manque d’activité hors cellule est un mal commun à de nombreux établissements pénitentiaires.

La Belgique avait d’ailleurs reçu un rappel à l’ordre de la Cour européenne des Droits de l’Homme en novembre 2014. La Cour avait alors souligné que la surpopulation carcérale et les problèmes d’hygiène et de vétustés des établissements avaient un caractère structurel. Elle avait jugé que ces conditions de détention étaient inhumaines et dégradantes, et violaient la Convention européenne des Droits de l’Homme. La Cour avait donc recommandé à la Belgique de prendre des mesures pour améliorer les conditions de détention (OIP Belgique, 2016).

Récidive

L’efficacité des incarcérations et des établissements pénitentiaires est loin d’être prouvée, au contraire, et ce malgré leur coût gargantuesque. De fait, plusieurs études montrent que de lourdes peines n’ont pas d’effet dissuasif, contrairement aux idées reçues. L’individu ne prendrait pas ce critère en compte pour décider de passer à l’acte ou non. La certitude d’être sanctionné·e, toutefois, serait davantage un frein (OIP Belgique, 2016 ; Kensey, 2007 ; De Valkeneer, 2015).

Plus de la moitié des personnes condamnées récidivent à leur sortie de prison (Mine et Robert, 2015). En revanche, les taux de récidive sont toujours moindres après des sanctions non carcérales ; c’est notamment pour cette raison que le Conseil de l’Europe recommande de privilégier les sanctions alternatives et de recourir à l’incarcération en dernier ressort (European Committee on Crime Problems, 2016). Le taux de récidive n’est évidemment pas étranger aux caractéristiques du milieu carcéral. Une période d’incarcération, d’autant plus si elle est longue, ancre davantage les personnes détenues dans une spirale de marginalisation, de précarisation et de désaffiliation, voire de criminalisation. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que certain·es (ex-)détenu·es récidivent et développent un ressentiment vis-à-vis des institutions et de la société.

Précarisation et reproduction des inégalités sociales

En Belgique, les personnes détenues sont principalement des hommes (en moyenne 65% de la population carcérale), jeunes (la moitié a moins de 40 ans), ayant bénéficié d’une formation limitée, ayant un statut socio-économique faible, et en prison bien souvent pour vol (OIP Belgique, 2016 ; Mistiaen et al, 2017). Parmi les personnes détenues, 75% sont très peu instruites ou qualifiées ; la plupart n’ont pas de diplôme ou ont une formation de base. Environ 30% seraient analphabètes (contre 10% dans la population générale), et 45% n’auraient que leur CEB (CAAP, 2015).

Les prisons enferment notamment les personnes condamnées pour des délits liés directement ou indirectement aux drogues illicites. Tous produits confondus, plus de 70% des infractions enregistrées (c’est-à-dire les procès-verbaux) au niveau national en 2018 sont liés à des faits de détention de drogues ; et 18% à leur commerce et importation/exportation3 (Hogge et Stévenot, 2020). La moitié de la population carcérale belge est incarcérée pour des faits directement ou indirectement liés aux drogues (42,2% en 2005 puis 50,8% en 20184).

La justice et la police ne sont pas des institutions aveugles, c’est-à-dire neutres et impartiales, et bien souvent, elles reproduisent les inégalités sociales. Les risques et conséquences liés à la pénalisation sont inégalement répartis au sein de la population. Les personnes de classes sociales défavorisées sont davantage susceptibles d’être contrôlées par la police, d’être poursuivies en justice ou d’être condamnées à une peine de prison (Ligue des droits de l’homme, 2017 ; Fassin, 2015 ; Wacquant, 2004 ; Gautron et Rétière, 2013). Selon le rapport 2016 de la section belge de l’Observatoire international des prisons, les délits commis par les personnes issues de classes sociales aisées (dits les « crimes en col blanc ») font l’objet d’une répression moindre que ceux commis par les personnes précarisées et/ou racisées (c’est-à-dire la « petite délinquance », y compris la détention de drogues illégales). De plus, à infraction égale, les juges auront davantage tendance à délivrer un mandat d’arrêt à l’encontre des personnes n’ayant pas de logement, pas de titre de séjour ou pas d’emploi. La détention préventive peut être justifiée par l’absence de domicile ou de titre de séjour, et par l’absence de ressources (qui représenterait un risque de récidive) (OIP Belgique, 2016).

Les conséquences et risques liés à la condamnation et à l’emprisonnement sont aussi inégalement répartis au sein de la population. L’incarcération intensifie la pauvreté à la fois des personnes détenues et de leurs familles (Wacquant, 2004). Une personne condamnée perd bien souvent son emploi et rencontre de grandes difficultés à en retrouver un, une fois sortie. Elle peut également perdre son logement et ses droits sociaux peuvent être interrompus. Et il ne faut bien évidemment pas ignorer les dégâts qu’une condamnation peut avoir sur les relations de couple ou familiales, ou même avec la communauté. De plus, l’étiquette de « délinquant·e » s’accompagne d’un ensemble de discriminations qui assignent les personnes à un statut infériorisé et qui s’ajoutent aux handicapes socio-économiques déjà existants (De Lagasnerie, 2017).

Une peine de prison peut donc avoir des conséquences dévastatrices sur les personnes condamnées et leurs familles. Or, l’efficacité de ce type de peine reste encore à démontrer, en particulier pour les délits. Et, concernant spécifiquement les faits liés aux drogues illicites, l’incarcération ne participe nullement à la diminution de l’offre de drogues illégales, notamment parce que ce sont surtout les usager·es ou les « petites mains » des trafics qui se retrouvent en prison5.

2. DES TENDANCES ET DES ALTERNATIVES

Tendances actuelles en Belgique

Afin de réduire la surpopulation carcérale et améliorer les conditions de vie des personnes détenues et les conditions de travail du personnel pénitentiaire, les autorités belges semblent envisager pour seule solution d’augmenter la capacité carcérale du Royaume. Depuis 2008, trois « Masterplan » se sont succédés. Les Masterplan I et II ont donné lieu à la construction des trois nouvelles prisons à Marche-en-Famenne (2013), Beveren (2014) et Leuze-en-Hainaut (2014). Ils prévoient également la construction d’une méga-prison à Haren pour remplacer celles de Saint-Gilles, Forest et Berkendael ; et la construction de nouvelles prisons à Anvers pour remplacer les anciennes.

Le dernier Masterplan en date a été approuvé en 2016 et prévoit la construction de deux nouvelles prisons à Leopoldsburg et à Vresse-sur-Semois, une nouvelle maison d’arrêt sur le site de la prison de Lantin et une nouvelle prison à Verviers (pour remplacer l’ancienne, fermée). Des travaux de rénovation et d’extension sont également à l’ordre du jour pour d’autres établissements.

Le SPF Justice entend d’autre part mettre en place la différenciation des peines. Ce qui signifie que les personnes détenues seraient réparties dans différents lieux fermés avec des régimes plus ou moins flexibles, selon le risque qu’ils/elles représentent en termes de sécurité. Un projet de « maison de transition » a été lancé début 2020 et vise à préparer à la sortie les personnes en fin de peine (SPF Justice, 2017).

La Belgique avance donc à contre-courant des recommandations européennes et de la recherche scientifique, qui sont pourtant assertifs : plus le parc carcéral grandit, plus l’on enferme de personnes et plus la surpopulation augmente (OIP Belgique, 2016 ; Tournier, 2005 ; Snacken, 2006). Et de fait, en presque une quarantaine d’années, la capacité carcérale a augmenté de 69%, tandis que la population carcérale a connu une augmentation de 101%6.

Si l’agrandissement du parc pénitentiaire semble à première vue avoir eu un impact sur la diminution de la surpopulation, la section belge de l’Observatoire international des prisons attribue surtout celle-ci au placement d’environ 200 personnes internées dans un centre de psychiatrie légale et à l’augmentation des bracelets électroniques (de 1.009 en 2012 à 1.739 en 2017 ; SPF Justice, 2018 ; OIP Belgique, 2016).

Traitement humain et droits fondamentaux

L’état de vétusté et d’insalubrité des anciennes prisons ne fait plus guère objet de débat. Il s’avère également que si les nouvelles (grandes) prisons offrent un cadre davantage hygiénique, elles sont bien souvent largement automatisées et perdent dès lors en humanité. Nombre de personnes détenues se sentent alors davantage isolées et souffrent du manque de contact humain (avec les autres personnes détenues et le personnel pénitentiaire) (OIP Belgique, 2020).

La Belgique a été à plusieurs reprises condamnée et/ou rappelée à ses obligations. Une série de droits généraux et fondamentaux s’appliquent en effet à tout à chacun, y compris à l’égard des personnes détenues. Il s’agit notamment des droits du patient, c’est-à-dire le droit à la vie privée, de bénéficier de soins de santé de haute qualité, de recevoir des informations sur son état de santé, etc. (Mistiaen, 2017)7. De plus, la Belgique a ratifié le Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants. Elle a également ratifié la Charte des Nations-Unies, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, ainsi qu’un ensemble de traités, conventions, protocoles et autres instruments internationaux qui garantissent les droits fondamentaux humains, dont (Nations Unies, 2004) :

  • Le droit à l’intégrité physique et morale, et par conséquent l’interdiction des actes de torture et des mauvais traitements ;
  • Le droit à des conditions de vie appropriées, ce qui comprend le droit à une alimentation adéquate et à un approvisionnement suffisant en eau potable, ainsi que le droit à l’habillement et à une literie ;
  • Le droit à la santé des personnes détenues, ce qui fait à la fois référence au droit aux soins de santé, à l’accès aux dispositifs de réduction des risques, à des conditions d’hygiène décentes et humaines en détention, à la nécessité de prévoir dans les différents lieux de détention des installations sanitaires appropriées et des possibilités adéquates de toilette et de bain, etc. ;
  • Le droit de communiquer avec leur famille, leurs amis et le monde extérieur.

Favoriser la réinsertion et accompagner

Préparer à la sortie et à réintégrer la société est une part fondamentale de l’incarcération, notamment afin de réduire un maximum les risques de récidives et favoriser la (ré)insertion des personnes détenues. Cela passe par la possibilité de se former, d’apprendre à lire et à écrire ou encore d’apprendre une langue nationale, mais également par un accompagnement psychologique (le cas échéant), le renforcement des compétences psychosociales, et un soutien dans la recherche d’un travail et d’un logement. Certaines personnes détenues sortent de prison avec quelques sous en poche, aucune idée de là où elles vont dormir, peu voire pas formées et sans perspective de travail (ou globalement d’avenir). La sortie de prison est un véritable défi administratif, psychologique et financier (CAAP, 2018). Or, actuellement, les moyens financiers et humains mis dans l’ensemble des démarches de réinsertion sont largement insuffisants.

La continuité des soins est également un problème majeur dans la gestion des sorties de prison, y compris pour les personnes suivant un traitement pour leur consommation problématique de drogues. Afin de garantir la continuité des soins, le Gouvernement entend transférer la compétence « santé des personnes détenues » depuis le SPF Justice vers le SPF Santé publique. Certains projets publics fédéraux et francophones sont en cours au niveau afin de garantir l’équivalence des soins et offrir des soins et accompagnements aux usager·es de drogues problématiques. Il s’agit cependant principalement de projets pilotes, limités dans le temps. Le terrain de l’accompagnement, de la prévention et de la réduction des risques liés aux drogues est principalement occupé par le milieu associatif, qui dispense des conseils et des outils de prévention et réduction des risques intramuros et accompagne à la sortie (I.Care, SES et Transit asbl, notamment)8.

Alternatives à l’incarcération

En Belgique, les alternatives à l’incarcération pour les délits sont très peu appliquées, particulièrement contraignantes et inégalement réparties au sein de la population carcérale9. Elles permettraient pourtant de réduire le nombre de personnes incarcérées, la surpopulation et les conséquences liées.

Sur l’ensemble de la population physiquement en prison (donc hors surveillance électronique), à peine 1% est placé sous un régime spécial (semi-liberté ou de détention limitée10) (SPF Justice, 2018). L’alternative la plus courante au sein de la population carcérale reste la surveillance électronique. Toutefois, celle-ci n’est pas accessible à l’ensemble des personnes détenues, puisqu’elle requiert notamment un titre de séjour légal, un domicile fixe et un téléphone fixe (ou un GSM). Elle s’accompagne de contraintes horaires non-négligeables et peuvent avoir des effets indésirables sur la santé mentale et affective de la personne et de son entourage (OIP Belgique, 2016). Difficile donc de parler de réelle alternative à l’incarcération.

Il existe encore d’autres sanctions alternatives, notamment (OIP Belgique, 2019 ; Gautreau, 2018) :

  • Le travail d’intérêt général : la personne condamnée effectue un travail non rémunéré, sur une période déterminée, au profit d’une association, d’une collectivité, d’un établissement public, etc. ;
  • Le sursis avec mise à l’épreuve (ou contrainte pénale ou sursis probatoire) : le ou la condamnée doit respecter des interdictions ou obligations fixées par le ou la juge (en matière de soins, de travail, d’indemnisation des victimes, etc.) ;
  • L’interdiction de fréquenter certains lieux ou certaines personnes ;
  • La sanction-réparation : la personne condamnée indemnise le préjudice de la victime, éventuellement en nature (par exemple en remettant en état un bien endommagé) ;
  • Les stages de citoyenneté, notamment pour les personnes condamnées pour incivilités, dégradations, racisme, sexisme, antisémitisme : la personne condamnée rencontre des élu·es, des représentant·es de différentes institutions et associations, dans le but de réfléchir.

Un tiers des personnes poursuivies pour des faits liés aux drogues illicites entre 2005 et 2014 ont bénéficié d’alternatives à la prison (31,2% de sursis probatoire, 24,2% de libération conditionnelle, 23,2% de travail d’intérêt général, 15,6% de surveillance électronique et 5,8% de médiation dans le cas d’affaires criminelles). La tendance cette dernière décennie est à une diminution des alternatives pour cette population, et à une augmentation des peines d’emprisonnement et des amendes (Plettinckx et al. 2018).

Les peines alternatives sont non seulement moins coûteuses que l’incarcération, mais elles offrent également des taux de récidives plus bas (OIP Belgique, 2017). Les peines exécutées en milieu ouvert favorisent moins la récidive que l’incarcération, notamment parce qu’elles favorisent la réinsertion (ou en tout cas limitent les problèmes de marginalisation et précarisation liées à l’incarcération). Ceci reste vrai, même après avoir neutralisé les biais de sélection11. Le risque de récidive est également plus grand pour les personnes détenues qui sortent de prison sans suivi et sans préparation, plutôt qu’en libération conditionnelle (Tournier, 2005 ; Interview de la magistrate française Nicole Maestracci). Il faut toutefois souligner que la libération conditionnelle est rarement appliquée en Belgique, bien qu’elle ait été reconnue comme un droit et non une faveur (OIP Belgique, 2016).

Les Chambres de traitement de la toxicomanie, comme il en existe à Charleroi, Gand ou Anvers, offrent également une alternative pour les usager·es de drogues illicites en prise avec la justice, en leur proposant un accompagnement ainsi que des solutions de réinsertion et de traitement. Quand une personne est arrêtée pour un délit, le parquet décide s’il est pertinent ou non de la réorienter vers la Chambre de traitement de la toxicomanie. Il fonde sa motivation sur l’existence ou non d’un lien causal entre la consommation de drogues et le délit commis (et pour lequel le·la prévenu·e est reconnu coupable). Plutôt qu’une peine de prison, le ou la prévenu·e a dès lors la possibilité d’édifier un plan de réinsertion dans la société, avec l’aide de plusieurs associations et des maisons de justice. Le ou la juge opère le suivi dudit plan et le respect des engagements pris par le ou la prévenu·e lors des audiences (par exemple, un accompagnement psychologique, un traitement, l’interdiction de fréquenter certaines personnes, etc.). Si le·la prévenu·e refuse, ou si le parquet estime que l’envoi vers la Chambre n’est pas pertinent, la procédure pénale classique se poursuit. S’il présente une alternative intéressante pour les usager·es problématique, ce système s’ancre toutefois dans une vision hygiéniste et pathologisante de l’usage de drogue, puisqu’il ne considère pas l’usage de drogue non problématique, vise essentiellement l’abstention et participe à stigmatiser l’usage de drogue.

3. CHANGER DE PARADIGME

Dépénaliser, réguler, légaliser les drogues illicites

Les délits liés à la détention et/ou l’acquisition de drogues prohibées sont loin d’être une préoccupation marginale des forces policières et des parquets de justice. Au contraire, ils participent de manière significative à l’engorgement de l’appareil judiciaire et détournent une partie non négligeable de l’attention et des moyens de la police.

La prohibition de certaines drogues participe également à la surpopulation carcérale, en y injectant les personnes coupables de ces délits. Or, les délits liés à la détention et/ou l’acquisition et leurs conséquences pénales (en particulier lorsqu’il y a incarcération) ont finalement davantage d’impacts sur les personnes condamnées que sur la société12.

L’approche répressive n’a au final aucun impact sur les niveaux de consommation, ni sur l’offre de drogues illégales. Elle participe au contraire à reproduire les inégalités sociales, à renforcer les mécanismes d’oppression et de discrimination envers certaines franges de la population (milieux populaires, personnes racisées, usager·es de drogues illicites), à détériorer la santé des individus en les incarcérant et à éloigner les usager·es problématiques des parcours d’accompagnement et de soins qui leur seraient pourtant bénéfiques. Un changement de paradigme et la décriminalisation, voire la légalisation, des drogues illicites permettraient notamment de :

  • Désengorger la justice
  • Lutter contre la surpopulation carcérale et les problèmes sanitaires liés à l’incarcération
  • Réinjecter les forces de police dans la lutte contre le trafic illégal
  • Sortir les simples usager·es du système judiciaire
  • Permettre la (ré)insertion sociale des personnes travaillant dans le trafic de drogues
  • Mieux détecter, prévenir et prendre en charge les consommations problématiques, ainsi que réduire les risques liés à la consommation (à condition d’injecter des moyens suffisants dans les dispositifs de soins, prévention et réduction des risques).

Les recommandations du Conseil de l’Union européenne

En 2018, le Conseil de l’Union européenne (UE) et les Etats membres ont adopté les conclusions du Conseil invitant à adopter des alternatives aux sanctions coercitives envers les usager·es de drogues, dans le respect des réalités et cadres légaux nationaux (EMCDDA, 2018). Ces conclusions s’inscrivent dans la lignée de la Stratégie antidrogue 2013-2020 de l’UE et son Plan d’actions anti-drogues 2017-2020.
Dans cet accord politique, le Conseil de l’UE et les 28 Etats membres s’accordent sur le fait que le simple usage de drogues illicites et leur consommation problématique sont un problème de santé publique qui requiert une réponse socio-sanitaire adéquate et effective centrée sur l’individu. Ils reconnaissent également que les alternatives à l’incarcération pour les usagers de drogues peuvent réduire le taux de récidive et soulager à la fois le coût social et la charge financière et administrative, tout en améliorant l’inclusion sociale des usager·es de drogues.

Humaniser la justice

Nous l’avons dit, l’appareil policier et judiciaire n’est pas aveugle. Les personnes issues de milieux défavorisés et les personnes racisées sont davantage susceptibles d’être contrôlées par la police, mises en détention préventive, envoyées en comparution immédiate et condamnées à de la prison ferme (OIP Belgique, 2016 ; Fassin, 2015 ; Wacquant, 2004 ; Gautron et Rétière, 2013 ; Stévenot, 2017). En plus de ne pas disposer des mêmes facteurs de protection que les classes supérieures (accès à un·e avocat·e, bagou, casier judiciaire vierge, domicile fixe, ressources financières, etc.), un ensemble de stéréotypes négatifs pèsent sur les personnes issues de milieux précarisés et les personnes racisées, et ne font pas pencher la balance de la justice en leur faveur. Ceci est également vrai pour les usagers et usagères de drogues ; et peut-être d’autant plus pour les femmes usagères qui transgressent également les normes de genre.

Passer en cour de justice peut constituer une véritable épreuve, voire une expérience symboliquement violente, pour une personne qui ne maîtrise pas les codes et le langage administratifs et juridiques, voire ne connaît pas ses droits, ni même le système judiciaire.

Les victimes des délits sont également bien souvent écartées du processus juridique, une fois la machine lancée. Sans développer le sujet ici, certaines alternatives aux cours de justice existent et visent à restaurer le lien social, notamment la justice « restaurative » ou « réparatrice ». Celle-ci peut prendre de multiples formes. Il peut par exemple s’agir d’espaces de paroles, où l’auteur·e du délit et la victime (ou la communauté locale) sont réunis. Chacun·e peut s’y exprimer et se sentir entendu·e ; et tou·te·s participent à la résolution des problèmes liés au délit (Béal, 2018).

Défendre la justice sociale

Prévenir la criminalité et l’incarcération requiert d’abord de s’intéresser et d’agir sur les facteurs structurels, sociaux, économiques et politiques qui nourrissent la criminalité, stigmatisent une partie de la population et favorisent la reproduction des inégalités sociales (Lemaitre, 2014 ; Baillergeau, 2008). Ce sont ces mêmes facteurs qui handicapent la réinsertion des personnes ayant été incarcérées, que les mesures de formation professionnelle, d’accompagnement psychosocial et d’aide au logement de ces personnes tentent difficilement d’atténuer.

Références :

Baillergeau, É. (2008). Intervention sociale, prévention et contrôle social : La prévention sociale d’hier à aujourd’hui. Déviance et Société, vol. 32(1), 3-20.

Béal, C. (2018). « Justice restaurative et justice pénale », Rue Descartes, vol. 93, no. 1, pp. 58-71.

CAAP (2015). « Offre de services faite aux personnes détenues dans les établissements pénitentiaires de Wallonie et de Bruxelles », 2013-2014.

CAAP (2018). « Sortir de prison : vers une transition réussie ? », Actes de la journée de réflexion organisée par la Concertation des associations actives en prison le 31 mars 2017.

CPT (2018). Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du 27 mars au 6 avril 2017. Conseil de l’Europe.

De Lagasnerie, G. (2017). Guerre aux drogues, guerre aux Noirs. Libération, [en ligne] consulté le 12/12/2017.

De Valkeneer C. (2015). « Vers un « sanction shift » ? Quelques réflexions à propos de la dissuasion pénale à l’épreuve de la recherche criminologique », Communiqué de presse du 6 octobre 2015 d’avocats.be, p. 21.

EMCDDA (2018). Council adopts conclusions on alternatives to coercive sanctions for drug using offenders. EMCDDA. Portugal : Lisbonne.

European Committee on Crime Problems (2016). White paper on prison overcrowding. Conseil de l’Europe.

Fassin, D. (2015). L’Ombre du monde. Seuil.

Fassin, D. (2019). « Le moment punitif, entre sévérité et inégalité », in Drogues, Santé, Prévention, Prospective jeunesse asbl, n°88.

Foucault, M. (1975). Surveiller et punir, naissance de la prison, Paris, Gallimard, p. 18.

Gautreau, E. (2018). « Expliquez-nous… Les peines alternatives à la prison », Franceinfo.fr.

Gautron, V. et Rétière, J.-N. (2013). La justice pénale est-elle discriminatoire ? Une étude empirique des pratiques décisionnelles dans cinq tribunaux correctionnels. Colloque « Discriminations : état de la recherche », Université Paris Est Marne-la-Vallée, France.

Hogge, M. et Stévenot, C. (2020). Tableau de bord de l’usage de drogues et ses conséquences socio-sanitaires en Wallonie, Eurotox asbl, Belgique : Bruxelles.

Kensey, A. (2007) « Prison et récidive », Sociétales.

Lemaitre, A. (2014). Eléments de prévention du crime. Edition L’Harmattan. France : Paris.

Ligue des droits de l’homme (2017). Contrôler et punir ? Etude exploratoire sur le profilage ethnique dans les contrôles de police : paroles des cibles.

Mary, P., Bartholeyns F. et Beghin J. (2006). « La prison en Belgique : de l’institution totale aux droits des détenus ? », Dév. et soc., vol. 30, n° 3.

Mine, B. et Robert, L. (2015). La récidive après une décision judiciaire. Des chiffres nationaux sur la base du Casier judiciaire central. Institut National de criminalistique et de criminologie.

Mistiaen, P., Dauvrin, M., Eyssen, M., Roberfroid, D., San Miguel, L. & Vinck, I. (2017). Soins de santé dans les prisons belges : situation actuelle et scénarios pour le futur – Synthèse. Health Services Research (HSR). Bruxelles : Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE).

Nations Unies (2004). « Les Droits de l’Homme et les Prisons. Manuel de formation aux droits de l’homme à l’intention du personnel pénitentiaire », Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme, New York et Genève.

OIP Belgique (2016). Notice 2016 pour le droit à la dignité des personnes détenues. Belgique : Bruxelles.

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OIP Belgique (2019). Quelles sont les alternatives possibles à la prison ?, OIP.org.

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Plettinckx, E., Antoine, J., Gremeaux, L., Van Oyen, H. (2018). “Alternatives to prison for drug offenders in Belgium during the past decade”, in International Journal of Law and Psychiatry, 61, p. 13-21.

Tournier, P.V. (2005a). « Pourquoi il n’est pas nécessaire de construire de nouvelles places de prison », Section Toulon de la LDH, 28 décembre 2005.

Tournier, P. V. (2005b). « Peines d’emprisonnement ou peines alternatives : quelle récidive ? », in AJ-Penal.

Snacken S., « Lutte contre la surpopulation : s’attaquer aux causes plutôt qu’aux symptômes », propos recueillis par S. COYE Dedans/Dehors, 2006, n° 53, p. 25.

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SPF Justice (2018). Rapport annuel 2017. Direction générale des établissements pénitentiaires. Bruxelles.

Stévenot, C. (2017). Drogues et racisme au banc des accusés, Bepax.org, Belgique : Bruxelles.

Swiss Society of Addiction Medecine (2016). Déni de méthadone en prison : Contribution cruciale de la cour européenne des droits de l’homme à l’accès aux soins des personnes détenues dépendantes des opioïdes.

Wacquant, L. (2004). Punir les pauvres. Le nouveau gouvernement de l’insécurité sociale. Marseille : Agone.

  1. C’est-à-dire les formations et cours, rencontres avec des intervenant·es extérieurs, cultes, transferts vers le palais de justice ou les services de soins extérieurs, limitation des déplacements dans et hors de la prison, etc.
  2. La Cour européenne des Droits de l’Homme a fait jurisprudence en statuant par l’arrêt du 1er septembre 2016 que le déni d’accès au traitement de méthadone pour une personne détenue dépendante de l’héroïne depuis de longues années constitue un traitement inhumain et dégradant. La Cour base son jugement sur les études scientifiques qui prouvent que le traitement à la méthadone est efficace, davantage que les « traitements » reposant sur l’abstinence. Ces études reconnaissent également le caractère standard du traitement au sein de la société civile ; dès lors, celui-ci ne peut être refusé à une personne détenue, en vertu du principe d’équivalence des soins (Swiss Society of Addiction Medecine, 2016).
  3. A noter que les procès-verbaux sont susceptibles de rapporter à la fois des faits de détention, commerce ou importation/exportation et d’autres délits (vol, contentieux routier, bagarre, etc.)
  4. Question écrite du sénateur Julien Uyttendaele au ministre de la Justice Koen Geens du 22/07/2019.
  5. Pour prendre connaissance des données de la Police fédérale, voir notre Tableau de bord 2019 (Hogge et Stévenot, 2020).
  6. En 1980 : 5.200 détenu·es pour 5.450 places et en 2017 : 10.471 détenu·es pour 9.231 places (Mary et al, 2006 ; SPF Justice, 2018).
  7. Loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient, M.B. du 26 septembre 2002.
  8. Nous invitons le lecteur ou la lectrice à se référer à notre Tableau de bord 2019 pour davantage de développement sur ces questions.
  9. Parmi les personnes poursuivies pour des faits relatifs aux drogues illégales, les hommes, les moins de 35 ans et les personnes de nationalité belge sont surreprésentées. Les femmes auteures de faits liés aux drogues bénéficient proportionnellement plus souvent de peines alternatives et sont moins susceptibles d’être incarcérées que les femmes de la population carcérale générale. L’application des peines alternatives est influencée par les difficultés linguistiques, l’absence de ressources (revenu, travail, réseau social, éducation), le statut de séjour et les risques de fuite, à la défaveur des personnes non-Belges (Plettinckx et al. 2018).
  10. La détention limitée est tout à fait marginale et permet à la personne condamnée de quitter la prison de manière régulière en journée (pour une formation, un travail, une visite familiale, etc.).
  11. En effet, l’on pourrait objecter que les personnes condamnées qui purgent leur peine en milieu ouvert sont aussi celles qui offrent davantage de garanties de réinsertion et donc de non-récidive.
  12. Nous invitons le lecteur ou la lectrice à se référer au chapitre « État des lieux de la régulation du cannabis et des autres drogues illicites dans le monde » de notre Tableau de bord 2019, qui, outre définir les notions de décriminalisation, dépénalisation et légalisation, aborde de multiples sujets tels que le coût de la prohibition et les avancées en termes de santé publique d’une régulation des drogues illicites, s’intéresse au modèle américain de légalisation, et questionne les contraintes légales internationales.


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