Le double diagnostic assuétude-psychiatrique est-il suffisamment pris en compte?

Eurotox propose une analyse de données disponibles en matière de double diagnostic assuétude-psychiatrique, tandis qu’une journée de réflexion a été organisée sur la collaboration entre le secteur de la santé mentale et des assuétudes à la mi-novembre par le SPF Santé publique.

La notion de double diagnostic renvoie à une comorbidité ou coexistence chez une même personne d’un trouble psychiatrique et d’un problème lié à l’usage d’une ou plusieurs substances psychoactives. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer cette cooccurrence (1) :

  • la substance ou le syndrome de sevrage à une substance produirait des symptômes identiques à ceux généralement observés dans une pathologie psychiatrique (e.g. psychose cannabique aiguë) ;
  • l’usage d’une substance causerait ou aggraverait des symptômes psychiatriques (e.g. précipitation d’une schizophrénie suite à l’usage de cannabis) ;
  • une pathologie psychiatrique causerait ou aggraverait l’abus ou la dépendance à une substance (e.g. consommation d’une substance pour automédication) ;
  • présence d’un facteur commun qui causerait les deux pathologies (e.g. socle neurobiologique commun aux deux pathologies événement traumatique)
  • une simple coïncidence.

Ces hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives et il est très probable que leur implication respective dans l’étiologie des cas de «double diagnostic» avéré varie selon les patients et les pathologies psychiatriques. Et bien entendu, dans la pratique clinique, il est difficile d’identifier précisément la chronologie et les liens causaux entre ces différents facteurs chez un patient, les symptômes des troubles mentaux et les problèmes liés à la consommation de substance(s) psychoactive(s) interagissant et s’influençant mutuellement.

Quoiqu’il en soit, et de manière générale, la recherche et l’identification des cas de double diagnostic constituent un enjeu majeur dans l’offre d’aide et de soin. Par exemple, dans le cas de la schizophrénie (2), des données indiquent que les symptômes psychiatriques sont plus sévères et les complications (hospitalisation, comportements violents, suicide, etc.) plus fréquentes en cas de consommation de substances psychoactives.(3) Toujours dans le cas de cette maladie mentale, d’autres travaux ont montré que l’efficacité du traitement dépend fortement de l’intégration des troubles liés à la consommation de substances psychoactives dans l’offre de prise en charge.(4) Certains travaux indiquent que ces constats sont également valables dans le cas d’autres troubles psychiatriques (e.g. dépression).

Double diagnostic chez 3 à 9 usagers de drogues sur 10 en traitement

Le niveau de prévalence du double diagnostic chez les usagers de drogues est très variable selon les études, et ce en raison de multiples différences entre les protocoles d’études: population sélectionnée (5), niveau de prévalence de la consommation pris en compte (6), méthodes d’échantillonnage, critères et niveaux de précisions diagnostiques, ou encore validité des outils de diagnostic utilisés. Néanmoins, il semblerait que les cas de double diagnostic soient très fréquents chez les usagers de drogues puisqu’ils varieraient environ de 30 % à 90 % parmi ceux rencontrés dans les centres de traitement.(7)

Doubles diagnostics posés lors de séjours en psychiatrie

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Le Résumé Psychiatrique Minimum (RPM) est un registre obligatoire effectué dans tous les services de prise en charge psychiatrique belges (hôpitaux généraux, hôpitaux psychiatriques, initiatives d’habitations protégées et maisons de soins psychiatriques).

On remarquera d’emblée que les troubles dépressifs ainsi que les troubles de la personnalité sont assez fréquemment établis chez les personnes ayant reçu un diagnostic principal ou secondaire d’abus ou de dépendance à un ou plusieurs produits (alcool et médicaments psychotropes compris) dans les services de prise en charge psychiatrique de la FWB sur la période 2005-2010. De manière comparative, les troubles dépressifs, les troubles bipolaires, ainsi que les troubles anxieux sont plus fréquents chez les personnes ayant reçu un diagnostic d’abus ou de dépendance aux médicaments psychotropes (ou, dans une moindre mesure, à l’alcool, en ce qui concerne les troubles dépressifs) que chez les personnes ayant reçu un diagnostic d’usage problématique à une drogue unique ou à plusieurs produits.

Double diagnostic chez un tiers des patients schizophrènes

À l’inverse, la schizophrénie et les autres troubles psychotiques sont plus fréquemment établis chez les personnes ayant reçu un diagnostic d’abus ou de dépendance à une drogue unique que chez les personnes ayant reçu un autre type de diagnostic en lien avec les assuétudes.

A noter aussi qu’une étude financée par la Ligue Belge de la Schizophrénie a été réalisée à l’échelle nationale afin de déterminer la prévalence du double diagnostic schizophrénie/abus ou dépendance à une substance chez les patients schizophrènes pris en charge.(8) Seulement 57,1 % des services interrogés (N=105) comportent une offre de soins spécifiques pour les patients à double diagnostic. Cette faible couverture doit toutefois être relativisée par le fait que cette offre de soins est relativement généralisée dans les hôpitaux psychiatriques, alors qu’elle est peu courante dans les unités psychiatriques des hôpitaux généraux. Finalement, les patients schizophrènes représentent au moment de l’étude un peu moins d’un tiers (31,7%) de la capacité de prise en charge des patients à double diagnostic.

Dépenses publiques liées aux drogues

L’évaluation et la prise en compte spécifique d’éventuels troubles psychiatriques lors de la prise en charge de patients ayant un problème d’assuétude n’est probablement pas systématique en raison d’un manque de moyen. Le travail en réseau permet certes de compenser en partie ce manque, mais il convient de rappeler que les dépenses publiques liées aux drogues et consenties à l’assistance ont diminué de 2004 à 2008, passant de 39% à 34% de l’enveloppe globale « drogues », alors que celles liées à la sécurité/répression ont sensiblement augmenté, passant de 56% à 62 % des sommes allouées.

Plus d’informations dans notre dernier rapport, pages 106 à 109, en cliquant sur ce lien
A noter que la journée de réflexion et d’échanges sur la collaboration entre le secteur de la santé mentale et celui des assuétudes a été organisée le 14 novembre dernier par le SPF Santé publique.

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(1) Voir par exemple Simon, 2003

(2) La schizophrénie est une pathologie psychiatrique qui touche entre 0,4 % et 0,7 % de la population générale (Saha, Chant, Welham, & McGrath, 2005). Selon différentes études épidémiologiques, les troubles liés à la consommation de substance(s) psychoactive(s) sont particulièrement fréquents chez les patients schizophrènes puisqu’ils toucheraient, en ce qui concerne la prévalence sur la vie, la moitié d’entre eux (voir par exemple Batel, 2000).

(3) e.g. Westermeyer, 2006

(4) e.g. Judd, Thomas, Schwartz, Outcalt & Hough, 2003

(5) e.g. usagers, usagers dépendants, usagers en traitement

(6) e.g. prévalence sur la vie, sur l’année, au moment de l’étude

(7) OEDT, 2004

(8) De Hert, Roos, Gillain, Detraux, Sweers, et al., 2010



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