Le droit à la santé des usager·es de drogues

La Belgique s’est engagée à appliquer et protéger le droit à la santé. Or le contexte prohibitionniste actuel ne lui permet pas de remplir correctement ses obligations vis-à-vis de la population générale et des usager·es de drogues en particulier, notamment en ne leur permettant pas de bénéficier des progrès scientifiques liés aux substances psychoactives, et en limitant l’accès aux traitements et dispositifs de réduction des risques essentiels à leur santé.

Le droit à la santé est consacré, d’une part, par la Déclaration universelle des droits humains de 1948 (DUDH) qui statue que « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires » et, d’autre part, par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) et la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (1946) qui reconnaissent le droit de tout être humain de « jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’il est capable d’atteindre ».

Le droit à la santé ne correspond pas au droit d’être en bonne santé, mais regroupe plutôt un ensemble de droits qui participent à atteindre le meilleur état de santé possible. Le droit à la santé est inclusif, et comprend dès lors l’accès aux soins de santé, ainsi qu’un ensemble de déterminants de la santé, tels que l’accès à l’eau potable, une alimentation saine, un logement salubre, de bonnes conditions de travail, l’égalité de genre, etc. Il englobe le droit d’accéder à un système de santé égalitaire et impartial, le droit à la prévention, au traitement et contrôle des maladies, l’accès aux médicaments essentiels, l’accès à l’éducation et l’information relatives à la santé, et le droit de chacun·e de participer aux décisions qui concernent sa santé. Comme tout droit humain, le droit à la santé doit être appliqué sans discrimination aucune.

Les services, biens, institutions et dispositifs liés à la santé ou ses déterminants doivent être disponibles, accessibles, acceptables et de qualité. Ceci signifie notamment que les barrières matérielles ou morales entre les patient·es et les soins de santé doivent être levées et que les soins de santé doivent être scientifiquement et médicalement appropriés et de bonne qualité. De fait, les États ont l’obligation de respecter et faire respecter le droit à la santé, notamment en n’interférant pas avec la jouissance de celui-ci, en le protégeant et en mettant en place les politiques permettant de le réaliser. Ils ont donc l’obligation de procurer les biens et services qui permettent d’atteindre le meilleur état de santé physique et mentale possible. Il est important de noter que le manque de ressources d’un État ne constitue pas une excuse suffisante pour justifier le manque d’action ou le refus d’investir dans les soins de santé. Les États ont en effet l’obligation de tout mettre en œuvre afin d’améliorer les droits de l’homme et le bien-être de leurs citoyen·nes, notamment en luttant contre les discriminations (OMS, 2008).

Le droit à la santé est complété par le droit de bénéficier des progrès scientifiques et de leurs applications (DUDH), qui comprend l’accès aux nouveaux traitements des maladies et de la douleur, aux vaccins, etc.

Le contexte prohibitionniste ne permet actuellement pas aux États de respecter leurs engagements et obligations vis-à-vis du droit à la santé et du droit de bénéficier des progrès scientifiques.

En effet, d’abord, le contrôle des substances psychoactives par les Conventions internationales freine considérablement le développement de la recherche scientifique et médicale qui profiterait à l’ensemble de la population. En conséquence, les vertus thérapeutiques du cannabis, du LSD ou encore de la MDMA (pour ne citer que ceux-ci) sont encore grandement méconnues, malgré des preuves encourageantes. Ensuite, le droit à la santé des usager·es de drogues est encore souvent bafoué dans le contexte actuel. De fait, le contrôle des substances, ainsi que la stigmatisation et discrimination des usager·es de drogues (et des personnes porteuses du VIH) constituent des obstacles dans l’accès aux soins, aux traitements de substitution (en particulier à base de diacétylmorphine), aux services de réduction des risques et de prévention, et aux services légaux. Or, ces dispositifs sont essentiels à la poursuite du meilleur état de santé atteignable pour les usager·es de drogue. La répression des usager·es, en particulier par injection, les isole de la société et des services pouvant profiter à leur santé ; ils·elles n’ont dès lors pas accès aux moyens de se protéger du VIH, des hépatites, de la tuberculose, et d’autres infections.

De fait, le contexte légal et politique belge ne permet pas une couverture suffisante des dispositifs d’échange de matériel stérile d’injection, de testing, ni des salles de consommation à moindre risque. De plus, les usager·es de drogues ne bénéficient pas de l’ensemble des traitements et médicaments qui pourraient contribuer à leur bonne santé. La délivrance de traitement de substitution à base de diacétylmorphine n’est pas autorisée en Belgique, malgré les résultats positifs des projets-pilotes en la matière. Parallèlement, l’accès à la naloxone est extrêmement restreint ; or, son efficacité en termes de réduction des overdoses mortelles d’opiacés n’est plus à prouver (Jurgens et al, 2010 ; UNAIDS, 2016).

Il est également important de souligner le cas particulier des personnes détenues, notamment usagères de drogues, auxquelles s’appliquent bien évidemment l’ensemble du corpus présenté ici. De plus, les Principes fondamentaux relatifs au traitement des personnes détenues adoptés par les Nations Unies en 1990 statuent que celles-ci ont le droit d’être traitées avec dignité et humanité, et doivent avoir accès à des services de santé équivalents à ceux disponibles à l’extérieur, sans discrimination. Les Règles minima pour le traitement des prisonniers des Nations Unies (adoptées en 1955 et révisées en 2015) édictent quant à elles que les soins de santé à destination des personnes détenues doivent être gratuits et dispensés sans discrimination, en étroite coopération avec le système de santé du pays afin de garantir la continuité des soins (UNAIDS, 2016).

Le droit à la santé requiert des États qu’ils mettent en œuvre une véritable politique nationale de réduction des risques à destination des usager·es de drogues, sans discrimination aucune, et qui soit à même de délivrer l’ensemble des services et dispositifs essentiels à la possession du meilleur état de santé atteignable. Une telle politique doit comprendre, conformément aux recommandations internationales : les programmes d’échange de matériel stérile d’injection, les traitements de substitution aux opiacés (y compris par diacétylmorphine), l’accès à la naloxone, les traitements du HIV, des hépatites et de la tuberculose, les salles de consommation à moindre risque, l’accès aux informations relatives aux drogues (y compris le testing) et la consultation des usager·es au sujet des politiques publiques les concernant. Et ceci doit exister dans un environnement où les usager·es de drogues ne risquent pas des problèmes avec la police ou la justice dans leurs démarches de soins et de réduction des risques. Or l’ensemble de ces dispositifs essentiels à la santé des usager·es sont en insuffisance ou difficilement accessibles, quand ils ne sont pas simplement interdits par la loi fédérale.

Références

Jürgens, R., Csete, J., Amon, J. J., Baral, S., & Beyrer, C. (2010). People who use drugs, HIV, and human rights. The Lancet, 376(9739), 475-485.

OMS (2008). The Right to Health. Fact sheet n°31. Genève: Organisation mondiale de la santé.

UNAIDS (2016). Do no harm. Health, Human Rights and people who use drugs. Suisse : Genève.



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